La lecture d’un rapport récent du McKinsey Global Institute(1) pourrait laisser penser qu’il n’y a toujours pas de corrélation entre l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et l’amélioration de la productivité aux Etats-Unis. On croyait pourtant en avoir fini avec le fameux paradoxe de Robert Solow : l’économiste, prix Nobel en 1987, affirmait à l’époque que les ordinateurs se voyaient partout, sauf dans des statistiques de productivité. Depuis, les choses ont bien changé : la productivité américaine a augmenté de 2,5 % par an entre 1995 et 2000 (contre 1,5 % par an entre 1975 et 1995), et, dans le même temps, les entreprises américaines ont doublé leurs investissements en NTIC. Pourtant, l’impression globale qui ressort de la nouvelle étude McKinsey est que, au fond, les technologies ont sans doute joué un rôle, mais secondaire. Et c’est cette assertion que je pense dangereuse et réfutable.Dangereuse, car, pour un dirigeant d’entreprise, la tentation serait grande d’en conclure qu’il peut minorer ses investissements informatiques. Ainsi, sur la période considérée, les investissements en NTIC n’ont représenté en France que 1,6 % du PIB, contre 3,8 % aux Etats-Unis. Voudrait-on décourager les dirigeants d’entreprises françaises à investir dans leur système d’information que l’on ne s’y prendrait pas autrement.Réfutable, car, parallèlement, les études menées par Oliner et Sichel(2) en 2000 démontrent que l’amélioration de la productivité du travail apparaît attribuable pour moitié à l’utilisation des NTIC et, pour un quart, à l’efficacité accrue du secteur high-tech lui-même.En fait, on peut adresser trois reproches au rapport McKinsey. Premier point : il occulte les progrès oubliés par la statistique. Prenons quelques exemples. Les efforts de productivité réalisés dans l’industrie automobile permettent d’acheter, pour le même prix qu’il y a dix ans, une voiture dont la sécurité et le confort ont considérablement augmenté ; pourtant, en statistique, à prix identique, le gain de productivité par véhicule sorti des chaînes de montage est nul. Dans les télécommunications, avec un débit doublant tous les ans à prix constant (équivalent de la loi de Moore des semi-conducteurs), les utilisateurs peuvent transmettre deux fois plus de données pour le même prix ; pourtant, si l’impact sur la communication des entreprises est positif, il est nul statistiquement sur la productivité. Dans la banque, enfin, le développement des cartes de paiement a réduit l’appel aux guichets pour le retrait d’espèces (1,137 milliard d’opérations en 2001). En 1972, il y avait eu 800 000 paiements par carte, et le traitement informatique de chaque facturette coûtait environ 30 centimes d’euro. En 2001, il y a eu 3,7 milliards de paiements par carte, et le coût unitaire de traitement est inférieur à 2 centimes, avec une sécurité accrue. L’effet mesuré sur la productivité ? Probablement nul.Deuxième oubli du rapport McKinsey : la non-valorisation de gains très directs, issus de l’utilisation des NTIC. Par exemple, dans la grande distribution ?” secteur qui a connu un des plus forts gains de productivité ?”, l’étude attribue cette performance à la concurrence et au succès de Wal-Mart. L’enseigne avait effectivement creusé un écart de productivité de 48 % sur ses compétiteurs, grâce aux codes-barres, à l’EDI (échange de données informatisé) et à l’automatisation de sa chaîne logistique. Mais ses concurrents ont réagi en adoptant, à leur tour, ces nouvelles technologies. Et c’est finalement bien grâce à elles qu’ils ont pu regagner en productivité. Dans la construction informatique, l’utilisation par Dell des technologies internet a permis d’abaisser fortement le coût de fabrication et de livraison d’un micro-ordinateur : un PC est livré en huit jours, et le stock est passé de six semaines à six jours ; là aussi, cette innovation sera très certainement répliquée par ses concurrents.Troisième reproche : le manque de regard prospectif, indispensable pourtant pour évaluer les effets bénéfiques à moyen terme. En effet, les investissements d’aujourd’hui sont apporteurs de la productivité de demain : c’est tout le paradoxe des études statistiques, qui se contentent de corréler les investissements d’une période avec les gains de productivité sur la même période. IBM pense économiser plusieurs milliards de dollars au cours des prochaines années en utilisant l’e-procurement ; Cisco estime à 1 milliard de dollars le gain qu’il va réaliser sur cinq ans grâce à la prise de commandes en ligne et aux appels des clients par le web. Réalité des effets cachés, mesure possible de ces effets et utilité de la prospective se combinent donc pour nous donner une vision positive de l’impact des NTIC sur la productivité.Dernier argument, et non des moindres : on sait que les technologies sont un vecteur majeur de la globalisation. Comment étendre son offre au monde si l’on ne dispose pas des moyens de communication nécessaires ? Les Etats-Unis en ont fait leur credo dès 1995, et le vice-président d’alors, Al Gore, avait donné une vive impulsion à ce mouvement. Investissons donc avec intelligence dans les NTIC (on peut aussi faire de mauvais choix !) et modernisons nos processus dans tous nos c?”urs de métier. Cest la clé de la performance du futur.(1) US Productivity Growth ; octobre 2001.
(2) The Resurgence of Growth in the late 1990, par Stephen D. Oliner et Dan E. Sichel ; Federal Reserve ; février 2000.
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