Une nouvelle loi sur la surveillance était attendue après les attentats survenus en France au mois de janvier dernier. Mais le projet présenté ce 19 mars en conseil des ministres dépasse de loin le cadre de la lutte contre le terrorisme et étend de façon inégalée les pouvoirs des services de renseignement.
En attendant le texte définitif, de nombreuses voix s’élèvent déjà dans le monde numérique pour manifester leur inquiétude et mettre en garde contre de possibles dérives.
Le Conseil national du numérique redoute une surveillance de masse
Le Conseil national du numérique a beau se réjouir en préambule de voir se profiler une occasion de débattre du renseignement, la tonalité de son avis reste grave.
« Le Conseil est préoccupé par l’introduction de nouvelles techniques de renseignement, dont certaines peuvent confiner à une forme de surveillance de masse. C’est le cas, par exemple, du dispositif de traitement automatisé qui pourra être déployé chez les opérateurs et les fournisseurs de services et qui permettra la remontée en temps réel de comportements “suspects” sur les réseaux », peut-on lire sur son site. « Cette approche a démontré son extrême inefficacité aux Etats-Unis en dépit d’investissements astronomiques », souligne par ailleurs Tristan Nitot, ancien de Mozilla et membre du Conseil.
L’institution regrette également l’absence de modalités de contrôle du dispositif et l’accumulation de dipositions législatives visant à une surveillance accrue des citoyens sur internet.
La CNIL veut contrôler les fichiers de renseignement
La commission a rendu un premier avis, critique sans être totalement négatif, le 5 mars dernier sur une version précédente du texte. Le nouveau projet de loi présenté ce matin en Conseil des ministres tenait compte de la plupart de ses remarques. La CNIL reste cependant attentive aux suites du texte car il reste, selon elle, un point particulièrement problématique concernant les modalités de contrôle des fichiers de renseignement.
« Le contrôle de ces fichiers constitue une exigence fondamentale afin d’asseoir la légitimité de ces fichiers dans le respect des droits et libertés des citoyens. Dans ce contexte, la Commission a proposé que le projet de loi lui permette d’exercer un tel contrôle, selon des modalités particulières, adaptées aux activités des services de renseignement, et en coopération notamment avec la CNCTR. Cette proposition n’a pour l’heure pas été suivie d’effet », écrit-elle aujourd’hui sur son site.
L’Asic se méfie d’une loi redondante
L’Association des services internet communautaires, qui réunit nombre des plus gros sites et services Web présents en France (de Google à Facebook en passant par Dailymotion, Microsoft et eBay) regrette tout d’abord amèrement de ne pas avoir été consultée préalablement sur le sujet. Elle va maintenant examiner le texte mais son état d’esprit critique ne laisse aucun doute :
« Nous allons examiner le texte du projet de loi suite à sa publication aujourd’hui afin de nous assurer que toute mesure nouvelle de surveillance qui serait introduite par ce texte n’est pas redondante avec les nombreuses mesures déjà existantes, est proportionnée, transparente et sous le contrôle d’une autorité dotée de pouvoirs et moyens suffisants. »
Le Syntec numérique regrette une loi liberticide pour les entreprises
Pas de doute, le syndicat patronal du numérique se positionne contre le texte. Et il pointe plusieurs points particulièrement problématiques à son goût, dont l’obligation de déchiffrement pour les entreprises et l’absence de garde-fou sur la géolocalisation.
« Les principales dispositions du texte dévoilées hier alourdissent la responsabilité des entreprises en limitant les libertés fondamentales. Syntec Numérique et ses 1500 adhérents formulent aujourd’hui leur inquiétude face à des mesures de plus en plus liberticides pour les citoyens et les entreprises ».
L’Ordre des avocats de Paris regrette l’absence de contrôle judiciaire
Ce n’est pas une surprise, les avocats sont globalement défavorables à ce projet de loi. C’est le cas de l’Ordre des avocats de Paris qui s’offusque sur son site de l’absence de contrôle judiciaire du dispositif :
« L’Ordre des avocats de Paris met en garde sur le fait que le projet de loi ne vise que les interceptions administratives et laisse la partie judiciaire orpheline d’une réforme dont elle avait pourtant besoin. La protection des libertés individuelles doit être absolue ! L’Ordre des avocats de Paris plaide pour un régime unique d’encadrement des interceptions et demande l’intervention du juge, pour contrôler, autoriser et sanctionner. »
La Quadrature du net appelle les citoyens à se mobiliser
L’association se tient vent debout contre la loi sur la surveillance. Elle pointe pêle-mêle l’élargissement de mesures sans contrôle du juge, la durée trop longue de conservation des données et l’absence de recours possibles. La Quadrature du net va plus loin en appellant carrément à une mobilisation générale contre le projet :
« La Quadrature du Net exhorte dès à présent les parlementaires à exercer leur devoir de contrôle, de raison et de défense des libertés publiques des citoyens face à ce projet de loi dangereux, et appelle les citoyens à se mobiliser. Alors que les enquêtes, partout dans le monde, montrent que la surveillance de masse ne fait aucunement baisser le risque d’attentat, la voie prise par le gouvernement de Manuel Valls instaure une ère nouvelle de suspicion généralisée, marquant un recul historique de la séparation des pouvoirs et des droits fondamentaux. Si le Parlement acceptait de l’y suivre, les conditions d’un exercice correct de la démocratie ne seraient plus réunies ».
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