C’est la réponse du berger à la bergère. Deux mois après l’annonce du mariage entre Alcatel et Lucent, Nokia et Siemens révèlent à leur tour la fusion de leurs activités opérateurs au sein d’une société
commune : Nokia Siemens Networks. Nokia fournit la partie infrastructure pour réseaux de mobiles (6,6 milliards d’euros), et Siemens les infrastructures pour réseaux fixes (9,2 milliards d’euros). La nouvelle entreprise sera détenue à
parts égales par les deux partenaires, bien que l’Allemand apporte davantage que le Finlandais. Elle siègera à Helsinki, mais trois des cinq divisions de Nokia Siemens seront implantées à Munich.Deux fusions apparemment similaires, que distinguent pourtant quelques différences. Le rapprochement franco-américain s’appuyait sur une complémentarité géographique. Alcatel est bien placé en Europe et en Asie ; Lucent est
chez lui en Amérique du Nord. L’accord germano-finlandais correspond davantage à une logique technique. La convergence entre réseaux fixes et réseaux pour mobiles transformera les télécoms dans les prochaines années.Dans les grandes lignes, quels que soient le terminal (fixe, mobile) et le réseau d’accès (DSL, 3G, 3G+, Wimax, etc.), l’utilisateur grand public ou professionnel aura accès aux mêmes applications. Un sigle résume cette
évolution : IMS (IP Multimedia Subsystem), l’architecture des réseaux de demain. Alors qu’Alcatel et Lucent sont forts dans le fixe et faibles dans le mobile, le couple Nokia-Siemens paraît mieux assorti : au premier le volet
mobile, au second le volet fixe.Considérée sous cet angle, la création de Nokia Siemens Networks est une réponse au couple Alcatel-Lucent en termes de taille d’entreprise, mais aussi à la paire Ericsson-Marconi en termes de stratégie technologique. Ericsson,
l’autre grand champion des réseaux pour mobiles, a en effet acquis, il y a un peu moins d’un an, le Britannique Marconi. Lequel lui a apporté la partie infrastructure de réseaux fixes. Si Siemens, désireux de sortir des télécoms, avait
choisi pour partenaire Nortel, l’alliance aurait ressemblé à celle entre Alcatel et Lucent : un Européen associé à un Nord-Américain, tous deux champions du fixe.Autre divergence : une fois le mariage consommé, Alcatel et Lucent s’effaceront pour renaître sous la forme d’une nouvelle structure, au nom encore inconnu. Dans le cas de Nokia et de Siemens, ni l’un ni
l’autre ne disparaîtra. Nokia se concentrera sur le métier de constructeur de terminaux mobiles, qui alimente près de 70 % de son chiffre d’affaires. Est-ce une position tenable à terme face à des industriels asiatiques de plus en
plus agressifs ? Oui, à condition que ces derniers demeurent d’éternels imitateurs, comme le supposent nombre d’analystes.Si les Chinois et les Coréens décidaient de prendre l’initiative, le combat des Nokia et des Motorola pour la survie serait rude. Côté Siemens, l’énorme conglomérat industriel poursuivra ses activités hors télécoms. Son
PDG, Klaus Kleinfeld, envisage en effet de se séparer plus tard de la partie réseaux d’entreprise. Elle n’entre pas dans l’accord de fusion : ‘ Nous cherchons un partenaire pour créer une nouvelle
structure, dans laquelle nous pouvons ne pas être majoritaire ‘, a-t-il déclaré lors de la conférence de presse. Dans ce cas, l’un des quatre ou cinq centenaires du monde des constructeurs télécoms aura
disparu(*).Enfin, même si Alcatel se dit une société internationale, où l’anglais est la langue de travail, il subsiste néanmoins une différence culturelle avec Lucent, entreprise 100 % américaine. L’écart entre le Germain et le
Scandinave est moindre et la fusion des équipes devrait être plus facile.
Une man?”uvre défensive face aux Asiatiques
A côté de ces différences, les deux unions revêtent néanmoins des traits communs. Les économies d’échelle étaient l’un des points clés de la fusion d’Alcatel et de Lucent. Le même argument est repris par Nokia et
Siemens. Les deux partenaires les estiment à 1,5 milliard d’euros par an, à partir de 2010. Corollaire de ces gains, entre 10 et 15 % des salariés seront licenciés au fil des ans ?” soit jusqu’à
9 000 personnes sur les 60 000 que comptera Nokia Siemens Networks au départ.La constitution des trois géants (Alcatel-Lucent, Ericsson-Marconi, Nokia-Siemens) apparaît comme une man?”uvre défensive des équipementiers traditionnels face aux constructeurs asiatiques et aux opérateurs. Le mouvement de
consolidation a repris chez les exploitants. Conséquence, les équipementiers négocient avec des clients à la fois moins nombreux et plus puissants. D’où la nécessité, pour les fournisseurs, de se concentrer.Quant aux constructeurs asiatiques, grâce à des coûts de production imbattables, ils gagnent inexorablement des parts de marché. En jouant sur les économies nées des fusions et en augmentant les ressources en R&D, les nouveaux
géants des télécoms espèrent mieux leur résister. Au moins quelque temps. Dans ce contexte, Nortel, Motorola et même NEC, esseulés, paraissent bien vulnérables.En fait, le marché des opérateurs télécoms pourrait évoluer vers une nouvelle répartition des rôles. Les équipements purement réseaux, comme les DSLAM, les commutateurs ou les transmissions optiques, deviendraient le domaine des
constructeurs asiatiques. Par contre, les couches de contrôle, les services et les applications réseaux, où se concentre la valeur ajoutée, fonctionnant au-dessus des réseaux IP, resteraient la chasse gardée des équipementiers occidentaux.
Cependant, si un Huawei ou un ZTE acquérait un Nortel ou un Motorola (partie télécoms), il pourrait lui aussi jouer à armes égales dans la cour des Occidentaux. Sauf si la géopolitique s’en mêle.D’autres fusions auront lieu. L’été dernier, la rumeur circulait que Cisco voulait racheter Nokia. Peut-être visait-il la seule partie infrastructure pour mobiles. Au nom de la sacro-sainte convergence. Il se murmure
aujourd’hui qu’Ericsson lorgnerait Juniper, le grand rival de Cisco dans le c?”ur de réseau. Le Suédois disposerait alors du plus formidable arsenal technologique.(*) Ce sont Alcatel, Ericsson, Lucent (sous différents noms) et Siemens.
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