Un rêve d’étudiant : un site avec les copies des manuscrits de Nietzsche, gratuitement consultables. Regardons mieux : y figurent aussi des transcriptions, des traductions, des dictionnaires spécialisés, des essais, des biographies, des articles de revues, des thèses… Le tout relié par une forêt de liens hypertextes qui éviteront le recours aux index, bibliographies et autres catalogues.En comparaison, l’ancien étudiant que je suis se souvient des heures de transport en commun pour se rendre dans des bibliothèques lugubres et surpeuplées à la recherche du document rare. Le document en question renvoyait toujours à un autre article, un mémoire archivé à Rouen, ou à Baden-Baden. Je vous passe les files d’attentes, les photocopies hors de prix, les autorisations, les laissez-passer et attestations de recherche dont il fallait se pourvoir. Un truc à devenir fou.HyperNietzsche veut rendre réel ce rêve d’étudiant. Et encore mieux, le projet mené par Paolo D’Iorio sera placé sur un site accessible à tous, chercheurs et simples internautes. Comment cela ? Par la combinaison du Web et de l’Open Source.Le Web, invention d’autres chercheurs au Cern en 1989, pour la partie technique de l’outil : pages, liens, moteurs, forums… Car il s’agit bien avant tout d’un outil : un lieu de rencontre et de discussion, un centre de documentation, une instance de validation des travaux… Un engin numérique enfin adapté au travail des chercheurs en sciences humaines, et qui se nourrit du travail des participants pour devenir plus complet et plus efficace. Une paillasse de laboratoire qui grandirait au fur et à mesure que les gens y travaillent !Petit bémol : les gens en question ne sont pas n’importe qui. Ne vient pas ajouter des textes sur ce site qui veut. Il faudra montrer patte blanche, et seul un comité scientifique élu par les chercheurs participants aura la main sur la gestion du contenu. Le simple quidam, même s’il a de bonnes idées, ira travailler ailleurs ; ici, il consulte.Mais attention ! on parle aussi d’Open Source, autre création universitaire qui descend de l’époque où Richard Stallman, à l’époque étudiant au MIT, a inventé le logiciel libre pour être sûr que ses travaux profitent au plus grand nombre. Alors HyperNietzsche jouera autant que possible la carte de l’Open Source : les textes seront gratuitement consultables, enregistrables, réutilisables, du moins tous les textes que le droit d’auteur permettra de faire passer sous ce statut. Ça fera des ?”uvres complètes vraiment complètes dans toutes les langues, évolutives mais aussi gratuites ! Vous savez combien coûte une intégrale de Nietzsche digne de ce nom aujourd’hui ? Beaucoup trop cher.Pure philanthropie ? Non, simple logique, comme l’expliquent Paolo D’Iorio et ses collaborateurs dans un livre sur le projet. Les chercheurs qui publient en tirent rarement des revenus substantiels. Il importe plus pour eux de donner à voir leur travail, d’assurer leur notoriété et de diffuser leurs idées. Ici, ils rendent leurs travaux publics sur la plus vaste plate-forme de diffusion jamais conçue : Internet.Et puis ce n’est pas tout, l’équipe d’HyperNietzsche explique comment développer un tel site, parce que, aux frontières d’HyperNietzsche, pourquoi pas un HyperSchopenhauer ? Et puis un HyperWagner qui appellera un HyperBach renvoyant sur un HyperBoulez, et pas d’hypermarchés…L’équipe de Paolo D’Iorio parle à notre tête, pas à notre portefeuille. Il s’agit d’installer dans le réseau un espace de partage universel de tous les savoirs juridiquement disponibles. Les éditeurs traditionnels vont s’en plaindre, leur privilège de diffusion est si confortable. Quimporte ! Étudiants, chercheurs, amateurs liront, sans solliciter leur avis et sans frein à leur boulimie.Bon courage, messieurs les universitaires. Et prenez votre temps.Prochaine chronique jeudi 9 novembre 2000
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