C’est dans la quasi-indifférence du grand public que se tiendra le sommet NETmundial les 23 et 24 avril prochain, un rendez-vous pourtant crucial pour l’avenir d’Internet. Le sujet est-il trop complexe ? La question se pose. Reste que ce débat entre gouvernements, acteurs de la société civile, organisations et institutions est censé définir l’évolution du réseau et de ses usages. Un sujet encore plus brûlant depuis l’affaire Snowden, et la perte d’autorité morale des Etats-Unis, qui conservent la main pour le moment sur le réseau.
Pour permettre à chacun, selon son niveau, de suivre cet événement et de comprendre ces enjeux complexes, le Think-Tank Renaissance Numérique a réalisé une note de décryptage.
En dénonçant les méthodes de surveillance du gouvernement américain, les États-Unis se sont vus contraints de lâcher du lest sur le contrôle de la Toile. Ainsi, pour Renaissance Numérique, le NETmundial sera le « point de convergence de plusieurs lignes de tensions dans l’histoire de la gouvernance de l’Internet, exacerbées par les révélations Snowden ».
Cette « exacerbation » sera d’autant plus vive que Dilma Roussef, la présidente du Brésil qui accueille le forum, a été écoutée par la NSA. Ce climat de défiance a néanmoins donné aux états la possibilité de « s’émanciper davantage de leur tutelle américaine. Ils veulent incarner une troisième voie entre la vision autoritaire de l’Internet et l’hégémonie libérale américaine sur le réseau ».
Internet entre gouvernance centralisée et gouvernance multiacteur
Internet est « un réseau décentralisé et transfrontalier », dans lequel chaque individu n’est pas seulement un spectateur passif : il peut aussi être acteur et contributeur. Mais peut-on pour autant appliquer les mêmes principes pour gouverner le réseau ?
Cette question trace une « ligne de démarcation » entre deux camps : les partisans d’une gouvernance multiacteur, qui repose sur le principe de la concertation des personnes ou entités légitimes, et ceux qui veulent privilégier une approche intergouvernementale avec un rôle renforcé des États dans la prise de décision.
Cet antagonisme peut rappeler le Sommet de Dubaï où les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont essayé de donner à l’ONU du pouvoir sur la gouvernance Internet au détriment des États-Unis et de son bras, l’ICANN. Pour Godefroy Jordan, cofondateur et président de Starting Dot et membre du Registry Stakeholder Group, l’échec de cette tentative « a permis aux États émergents d’entrer en scène face aux positions libérales et multiacteurs, où les États ne sont que consultatifs, incarnées principalement par l’ICANN et les États-Unis ».
Peut-on parler d’un « Rideau de fer » qui oppose les États démocratiques et les États autoritaires ? C’est plus compliqué que ça : « plusieurs Etats oscillent aujourd’hui entre l’alternative du statu quo ou du contrôle national du réseau », explique Renaissance Numérique. « Les “Swing states” tels que l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud prônent une approche intergouvernementale pour d’autres raisons que la stricte autorité. Par ailleurs, des pays qui appartiendraient à un bloc ou à l’autre se démarquent par leur position – à l’image de l’Allemagne qui prône un Internet nationalisé ou encore de la Russie qui permet l’organisation à Moscou d’un Forum de la Gouvernance Internet national depuis cinq ans, un sommet multiacteur national qui permet l’expression de la société civile. »
Infrastructures Internet : une gouvernance établie, mais perfectible
Le défi de la gouvernance Internet réside dans le respect du caractère transfrontalier et décentralisé du réseau, qui fait sa richesse même. D’où l’approche multiacteur, via un archipel d’institutions qui assurent la direction technique du réseau : l’actualisation du protocole TCP/IP relève de l’Engineering Task Force (IETF), les standards du Web du W3C, etc. L’élaboration des standards repose en outre sur un processus ouvert et « bottom-up » , initié et géré par les participants eux-mêmes.
Créée en 1998, l’ICANN est une des institutions majeures de la gouvernance des infrastructures Internet. Organisation de droit californien sans but lucratif, elle assure la coordination du système de nommage et d’adressage Internet. Malgré la totale transparence de son fonctionnement, la compréhension des processus de décision de l’ICANN demeure peu accessible. Pour Bertrand de la Chapelle, ex-membre du conseil d’administration de l’ICANN, « Nous sommes au début de ces nouveaux modes de gouvernance, ce qui explique cette complexité. »
Les individus qui siègent à l’ICANN sont aussi au coeur du débat. Pour Godefroy Jordan, le conseil d’administration de l’ICANN, qui détient le pouvoir décisionnel, devient de plus en plus autonome, adoptant des décisions qui n’émanent pas toujours d’un consensus de la communauté. « Sa représentativité n’est pas fidèle aux réalités des usages de l’Internet. Cette base est trop étroite, notamment sur les usagers et les entreprises. Géographiquement également, toutes les parties du monde ne sont pas représentées proportionnellement et équitablement. Il y a urgence d’une part à renforcer la représentativité du conseil de l’ICANN et d’autre part, à créer des contre-pouvoirs démocratiques. »
La tutelle américaine sur ce régulateur est l’autre point de tension. Il sera au premier plan des discussions au NETmundial.
La fonction de nommage de l’ICANN, dite IANA, est toujours sous le contrôle du Département du commerce américain qui l’a fondée. Mais depuis sa création en 1998, et depuis l’affaire Snowden, l’ICANN veut s’émanciper es Etats-Unis. Son président, Fadi Chedadé, étudie la possibilité de transformer cette société californienne en une société internationale. Pour David Martinon, Représentant spécial pour les négociations internationales concernant la société de l’information et l’économie numérique au ministère des Affaires étrangères, « les révélations Snowden ont fourni à l’ICANN et à son Président le bon contexte pour demander à s’émanciper davantage des Etats-Unis. L’institution appelle ainsi à renforcer la confiance des États et à globaliser sa gouvernance. »
Usages Internet : le parent pauvre de la diplomatie numérique ?
Prépondérantes dans les débats, les évolutions de l’ICANN et de l’IANA ont tendance à monopoliser la scène médiatique et internationale de la gouvernance Internet. Du coup, les débats sur les usages sont le parent pauvre de la diplomatie numérique. Les enjeux sont pourtant cruciaux : neutralité du net, données personnelles, propriété intellectuelle et transparence…
Pour ces sujets, il n’existe pas de structure de gouvernance dédiée et les gouvernements n’envisagent pas d’abandonner leur souveraineté. « Il faut prendre garde au fait que les usages Internet mettront toujours au défi nos mesures législatives nationales » souligne Guillaume Buffet, Président de Renaissance Numérique et fondateur du cabinet de conseil Les Gentils. Aussi, quelques semaines avant le Sommet, le Brésil et l’Union européenne ont consacré dans la loi le principe de la neutralité du net, interdisant toute discrimination des contenus par les opérateurs.
Une approche multiacteur serait-elle envisageable pour ces questions au coeur des problématiques citoyennes de libertés civiles et de démocratie ?
Pour Bertrand de la Chapelle, « les règles qui organisent ces questions doivent être traitées d’une façon nouvelle, dans une logique multiacteur, afin de ne pas assister à une prolifération de mesures et normes nationales qui tueraient pratiquement les bénéfices du réseau international et transfrontière. » Ce qui ouvrirait alors la voie vers un nouveau modèle de gouvernance à étendre au-delà de celle des normes techniques.
A lire aussi :
– Chronique du 25/04/2014 : Sommet NetMundial, vers la fin du contrôle d’Internet par les Etats-Unis
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