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Net-éco ou les 120 jours de WorldCom

Les tricheries des grands patrons et les intérêts bien compris des analystes, administrateurs et auditeurs vont provoquer un retour en arrière industriel sans précédent.

” L’anarchie totale, c’est celle du pouvoir “, disait Pasolini, dans Salo ou les 120 jours de Sodome, en 1975. Et l’anarchiste italien ne s’y est pas trompé, sa citation peut encore s’appliquer aujourd’hui, peut-être même plus que jamais. Car qu’ont fait Bernard Ebbers, le président-fondateur de WorldCom, et Scott Sullivan, son directeur financier, si ce n’est gérer leur société de façon anarchique ?Comment comprendre que les dirigeants d’une société puissent truquer leurs comptes de manière à la faire apparaître bénéficiaire alors qu’elle perdait centaine de milliers de dollars sur centaine de milliers de dollars ? Les patrons sont payés, et souvent bien payés, pour deux choses. Un, mettre en place un vrai projet industriel pour l’entreprise et ses salariés. Deux, respecter des règles finalement toutes bêtes de gestion.Sans cela, on tombe dans l’anarchie : chacun fait ce qu’il veut, de n’importe quelle façon ; on n’y comprend plus rien et finalement il devient impossible de créer un vrai modèle de croissance pour l’entreprise. Et, pour reprendre Pasolini, lorsque l’anarchie est menée et prônée par ceux-là mêmes qui ont le pouvoir, on ne peut que se diriger vers un chaos dangereux pour tout le monde.C’est ce qu’il se passe aujourd’hui : les pratiques suicidaires des uns font même plonger ceux qui ont respecté les règles. Au-delà de Bernard Ebbers, il faut aller chercher les complicités. Celles de cabinets d’audit qui ont préféré se taire plutôt que de perdre des contrats juteux. Celles de grands analystes financiers aussi. Ceux-là sont payés pour éplucher les comptes des sociétés et conseiller leurs clients sur la pérennité de l’entreprise.On peut justement s’interroger sur la compétence de ces analystes qui n’ont pas remarqué une astuce aussi grosse que celle de faire passer des frais d’exploitation en investissement. A moins que les analystes en question aient eu intérêt à se taire. Intérêt, car la société qui les employait détenait des parts de WorldCom et qu’il n’y avait donc aucune raison de faire chuter les cours…En moins de 120 jours, les dirigeants de WorldCom ont réussi à jeter le doute sur l’ensemble des valeurs technologiques et sur la réalité de leurs résultats. On n’avait pas vraiment besoin de ça. En même temps, les Français, qui sont toujours plus malins que les autres, s’acharnent à traîner J2M dans la boue.Qu’on conteste sa stratégie soit. Mais que ceux (les administrateurs de Vivendi) qui ont validé cette stratégie pendant deux ans s’acharnent aujourd’hui sur l’artisan de cette mise en musique peut sembler douteux. Et, surtout, on peut se demander quel est l’intérêt desdits administrateurs aujourd’hui. Est-ce de démanteler le groupe pour le revendre par appartements à leurs amis, et pas cher de surcroît ?Refourguer Cegetel à Vodafone, Canal à Bouygues ou à Lagardère, les activités américaines à la famille Bronfman ? En gros dépecer un groupe qui dégage 2 milliards d’euros de cash chaque année, un chiffre d’affaires de 60 milliards pour une dette supportable quand on la compare à celle d’opérateurs télécom historiques européens, par exemple.Qui s’interroge sur les conséquences sociales de la gigantesque braderie organisée par les administrateurs ? Sûrement pas les médias français, trop occupés à relayer au mot près les indélicatesses susurrées par ces mêmes administrateurs. Les mêmes médias qui louaient encore “Jean-Marie Magic Messier” il y a 8 mois et qui se vantaient d’être dirigés par un “Little Messier” ?Oui, l’anarchie totale, c’est bien celle du pouvoir. Un pouvoir qui profite de toutes les circonstances pour se remplir les poches. Lorsque Messier était en vogue, ce pouvoir profitait du système. A l’occasion de sa chute, ce même pouvoir en profite pour ramasser les miettes de son empire.Qu’y a gagné la France, prétendument défendue par ces administrateurs ? Qu’une des premières valorisations de sa place financière se retrouve mise à sac, sûrement. Que tous les investisseurs particuliers comme les salariés qui ont cru dans la société se retrouvent plumés, sûrement aussi.Seule question pour nous tous : que restera-t-il de tout cela en septembre ? Quelle sera létendue du gigantesque retour en arrière provoqué par tous ces flibustiers ?Bonne vacances et rendez-vous le 12 septembre.* Grand reporter au Nouvel Hebdo

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Alain Steinmann*