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Navigation sous contrôle

Conçu à l’origine pour une utilisation militaire, le GPS s’est imposé en quelques années comme l’un des outils les plus précieux pour l’humanité.

Vous êtes ici. Sur l’écran de votre récepteur GPS, une petite flèche répond à la question que les voyageurs se posent depuis des millénaires : où suis-je ? À ce titre, le GPS peut être considéré comme l’une des inventions les plus utiles jamais conçues par l’homme. Au départ pourtant, la vocation d’un système de géolocalisation par satellite n’a rien de philanthropique. La première application envisagée consiste à affiner la position des sous-marins chargés de lancer les missiles nucléaires américains Polaris. L’origine du GPS remonte au 4 octobre 1957 avec la mise en orbite du premier satellite artificiel Spoutnik. Afin de suivre son évolution, les scientifiques russes menés par Sergueï Korolev ont intégré un haut-parleur à la sonde, qui diffuse une série de bips en continu (à écouter sur www.amsat.org/amsat/features/sounds/firstsat.html).De l’autre côté de l’Atlantique, des scientifiques de l’Applied Physics Laboratory (APL) et du Massachusetts Institute of Technology (MIT) parviennent à déterminer précisément l’orbite du satellite grâce à l’effet Doppler : la fréquence du bip de Spoutnik, à l’instar de la sirène du camion de pompier, varie en fonction de sa position par rapport à l’observateur. Ils ont alors une révélation. S’il est possible de déterminer la position du satellite depuis la Terre, pourquoi ne pourrait-on pas calculer la position de l’observateur grâce au satellite ? Dès 1959, l’APL se lance dans le développement du système Transit à destination de l’US Navy. En 1960, le premier satellite est placé en orbite polaire basse à 1 100 km d’altitude. Quatre autres engins sont déployés par la suite et en 1964, le système est mis en service. La précision, obtenue par mesure de l’effet Doppler, est jugée valable par les autorités militaires : elle atteindra les 100 m après de nombreuses améliorations, mais Transit souffre de quelques limitations. En raison du faible nombre de satellites et de leurs orbites polaires, la réception du signal ne peut s’effectuer plus d’une fois par heure dans le meilleur des cas et le calcul de la position demande une dizaine de minutes.

Du militaire au civil

Dès 1973, les militaires commencent à réfléchir à un système de localisation plus précis et disponible. La solution retenue repose sur la mise en place d’une constellation de satellites assez dense pour que chaque point du globe puisse obtenir un contact radio avec au moins quatre d’entre eux à tout moment. Baptisé Navstar-GPS (renommé GPS par la suite, pour Global Positioning System), le dispositif repose sur un réseau de 24 satellites (plus 5 de secours), effectuant le tour de la Terre à 20 200 km d’altitude en une douzaine d’heures. Mais contrairement aux satellites Transit qui fonctionnent grâce à l’effet Doppler, les satellites GPS émettent des ondes radio presque aussi rapides que la lumière et sont captées par un récepteur au sol ou à relative proximité (avions). Ces signaux comprennent deux informations primordiales, la position du satellite et l’heure exacte. Exacte au milliardième de seconde près car chaque engin intègre quatre horloges atomiques. Des stations au sol contrôlent en permanence chaque satellite, et corrigent sa position et la précision de ses horloges en cas de besoin. Pour déterminer sa position, le récepteur GPS utilise la méthode de la trilatération. Pour simplifier, le récepteur GPS compare l’heure de son horloge interne avec celle intégrée au signal radio émis par trois satellites. En analysant le décalage temporel, le récepteur détermine sa position, sur la surface terrestre (le satellite est d’autant plus loin que le signal arrive en retard, et d’autant plus près qu’il arrive en avance). Si trois satellites sont théoriquement suffisants pour déterminer une position sur la surface terrestre, il en faut en fait au moins quatre pour que le système fonctionne, le satellite supplémentaire servant notamment à pallier le manque de précision de l’horloge interne du récepteur, ainsi qu’à calculer son altitude ou encore sa vitesse.Le premier satellite de la constellation GPS est lancé en 1978. S’il faudra attendre 1994 pour que le système soit déclaré pleinement opérationnel, il est utilisé pour certaines applications restreintes dès 1984, et très largement employé en 1991 lors de la première guerre du Golfe. À l’instar de Transit, le réseau Navstar-GPS est destiné à un usage presque exclusivement militaire. Mais un événement tragique va tout changer. Le 1er septembre 1983, un Boeing 747-200 de la Korean Airlines reliant New York à Séoul via Anchorage dévie de son plan de vol et survole par erreur l’espace aérien soviétique. Il est abattu par un chasseur SU-15 russe, tuant les 269 passagers et membres d’équipage, et provocant l’une des plus graves crises de la guerre froide. Afin d’éviter qu’une telle catastrophe se reproduise, Ronald Reagan émet un décret stipulant que l’utilisation du système GPS sera accessible librement dès sa mise en service. Néanmoins, de crainte que des ennemis n’utilisent le système pour guider des armes contre les États-Unis, il est décidé que le GPS destiné au public offrira une précision moins importante que la version militaire. En clair, des erreurs (la Selective Availability) sont ajoutées au signal, provoquant une imprécision de positionnement variant de 50 à 300 m, y compris pour l’aviation civile. Mais, suite à la pression de la FAA (Federal Aviation Administration) et à la lecture de comptes rendus d’experts indiquant la faible menace que représente l’usage du GPS pour la sécurité nationale, Bill Clinton fera supprimer la SA en 2000. Pourtant, malgré la limitation de précision imposée par la SA, les premières sociétés de développement de récepteurs GPS apparaissent dès le milieu des années 80. En 1989, Magellan Navigation, fondée trois ans plus tôt, lance le NAV 1000, le premier récepteur GPS portable grand public (la version NAV 1000M sera utilisée par l’armée). L’appareil est pour le moins rustique. Ressemblant à un gros téléphone portable, il dispose d’un écran LCD monochrome de quatre lignes qui affiche la position sous forme de coordonnées géographiques. L’année suivante, la société Garmin créée en 1989 présente le GPS 100, un récepteur semi-portatif pouvant être installé sur le tableau de bord d’un bateau ou adapté au cockpit d’un avion de tourisme. Là encore, pas de cartographie mais des fonctions révolutionnaires pour l’époque. Le GPS 100 inclut notamment les données de navigation aériennes (base Jeppesen) telles que les coordonnées des aéroports, des balises VOR ou NDB, ainsi que les routes aériennes. Le récepteur intègre en outre la fonction GoTo, qui calcule instantanément le trajet inverse à celui parcouru depuis la dernière position enregistrée. Un atout précieux pour les marins. Malgré un prix de vente assez élevé équivalent à 3 000 euros actuels, le succès est immense. Pourtant, le fonctionnement de ce type d’appareil n’a rien d’intuitif. Mieux vaut être rompu à la lecture des cartes géographiques ou topographiques. D’ailleurs les randonneurs, chasseurs et autres joggeurs sont parmi les premiers à adopter le GPS d’autant que leur activité n’exige pas une précision de guidage trop importante.

Au secours des randonneurs

Dès 1998, Garmin et Magellan lancent leurs premiers GPS tout-terrain. Le eTrex de Garmin, ou le Magellan Map 315, de la taille d’un petit téléphone, sont étanches, extrêmement robustes grâce à leurs coques gainées de caoutchouc, et dotés d’une excellente autonomie. Deux piles AA leur assurent une autonomie supérieure à 20 heures ! Et dès l’an 2000, Magellan propose le Map 330, premier GPS de la marque doté d’une cartographie. Certes, celle-ci se révèle assez sommaire, mais des cartes optionnelles, peuvent être ajoutées, qui permettent d’afficher les rues de la plupart des villes des États-Unis. Ces appareils vont connaître un succès considérable. Aujourd’hui encore, les eTrex, dont la gamme a été renouvelée en octobre dernier, sont les GPS de loisir les plus vendus au monde. Et leur fonction GoTo sauve chaque année des randonneurs perdus dans le brouillard en pleine montagne ! Un nouveau passe-temps, intimement lié à la technologie, voit le jour en 2000 : le Geocaching qui consiste à dissimuler ou trouver des objets dont l’emplacement est indiqué sous forme de coordonnées GPS, accompagnées de descriptions diverses exprimées clairement ou sous forme d’énigmes. D’après le site geocaching.com, il existe près de 1,6 million de caches à travers le monde.

Magellan contre Garmin

Et le guidage automobile ? Eh bien, contrairement à une idée reçue, les fabricants de GPS n’ont pas attendu la fin de la Selective Availability pour lancer les premiers modèles. Le premier date même de 1990. Conçu par Pioneer et doté déjà d’une cartographie (sommaire), il ne sera distribué qu’au Japon et de façon très confidentielle. Magellan et Garmin lancent les premiers modèles vers 1998 mais c’est en 2002 que le marché décolle enfin. Si les constructeurs sont nombreux à se disputer ce nouveau marché, seules deux sociétés fournissent les cartes de navigation. Navteq et Tele Atlas, fondés au milieu des années 1980, parcourent d’abord les plus grandes métropoles puis le monde entier pour cartographier le réseau routier. Mais surtout pour répertorier toutes les particularités, à commencer par les sens de circulation.Dès 2002, les deux géants commencent à affiner les cartes et à intégrer les fameux Points d’intérêts qui offrent de nombreuses informations supplémentaires, tels que l’emplacement des stations essence ou des hôtels. La même année apparaissent les premiers GPS dotés d’une interface vocale. Les entreprises de transport, les compagnies de taxis équipent alors massivement les véhicules qu’ils peuvent ensuite suivre en temps réel afin d’optimiser leurs déplacements ou renseigner les clients. Si les PND (Personal Navigation Device) connaissent un succès immédiat, d’autres solutions apparaissent. La société TomTom, créée en 1991, et spécialisée à l’origine dans la fabrication de lecteurs de codes-barres s’oriente dès 1995 vers le développement d’applications pour PDA, un marché en pleine expansion. En 2002 sort TomTom Navigator, le premier récepteur GPS connectable par câble à un PDA (plus tard par liaison Bluetooth). Le logiciel s’appuie sur des cartes fournies par Tele Atlas ou Navteq. Mais ce qui va propulser TomTom au rang de numéro un européen, place qu’il occupe toujours, c’est le lancement en 2004 de TomTom Go, le premier GPS automobile autonome. L’appareil intègre la plupart des caractéristiques que l’on retrouve dans les récepteurs actuels. Compact grâce à son antenne intégrée et invisible, il propose les cartographies détaillées de la plupart des nations occidentales, fournies par TeleAtlas et stockées sur carte SD. Doté d’un écran tactile et d’une interface très conviviale, il est surtout très abordable (800 euros environ). C’est aussi le premier GPS à être utilisable dès sa mise en marche. Garmin, le numéro un mondial, réagit rapidement et lance les StreetPilot 26XX. Mais trop tard, en quelques mois, TomTom a conquis le marché européen. Dès lors, de nombreux fabricants vont investir ce secteur, provoquant une très rapide baisse des prix… et la disparition de bon nombre de constructeurs opportunistes. En cinq ans, le prix des récepteurs est divisé par quatre. Dès 2005, les puces GPS commencent à être intégrées aux smartphones, comme sur les HP iPaq. Aujourd’hui, tous les modèles haut de gamme en sont équipés. En seulement dix ans, le récepteur GPS est passé du statut de technologie élitiste à celui de bien de consommation courante. C’est l’appareil électronique qui a connu la plus rapide progression de toute l’histoire des nouvelles technologies. Devant le téléphone portable.

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Philippe Fontaine