l’Oi : quel est l’état de la France numérique actuelle, avec ses points forts et ses points faibles ?NKM : nous avons plusieurs points forts, mais nous ne sommes pas encore suffisamment conscients de ce potentiel et nous ne sommes engagés encore que partiellement dans la transformation à venir. Nos atouts, ce sont d’abord un réseau haut débit de qualité et le déploiement du très haut débit sur l’ensemble du territoire. Nous sommes dans une dynamique qui est à la fois très positive et très variée. Elle est portée, d’abord, par un tissu d’acteurs très actif dans le monde du logiciel, et notamment celui des logiciels libres. En la matière, nous devons mieux faire valoir notre offre à l’étranger en faisant porter nos efforts sur quelques niches de pointe, comme le secteur du jeu vidéo par exemple. Cette dynamique tire ensuite profit d’un patrimoine riche en matière de contenus. Il nous faut le protéger, le valoriser et l’exploiter. Et il ne s’agit pas seulement de la numérisation des contenus qui existent déjà, mais également de la création numérique. Le numérique ne se résume aucunement aux réseaux ou à la fibre optique : il est aussi un univers créatif, qu’animent des artistes que nous devons découvrir. l’Oi : quelles mesures allez-vous mettre en œuvre pour assurer son développement ?NKM : j’ai structuré mon action autour des trois axes du numérique : celui des infrastructures et des réseaux, celui de l’innovation et des contenus, celui enfin des services et des usages. D’ailleurs, au terme d’“ économie ” numérique je préfère celui de “ société ” numérique, qui intègre davantage les transformations profondes que nous vivons, y compris en matière de modes de vie. La diffusion du télétravail, de la télésanté ou encore de l’e-administration, par exemple, va modifier considérablement notre quotidien et notre confort de vie. Je m’efforce ainsi de faire évoluer ce dispositif, de façon à pouvoir embrasser l’intégralité du champ numérique, sans ignorer ce qui relève de la compétitivité et de l’emploi, ou de la société au sens large. Cette société se développe au travers de pratiques et d’usages, qui peuvent être l’objet de mesures très concrètes, comme celles que sollicitent les appels à projets sur le Web 2.0, sur le serious gaming* ou sur le portail Proxima mobile, le premier e-portail de services publics sur téléphone portable. l’Oi Internet va-t-il être un facteur important de transformation de la société dans les années à venir ?NKM : Internet a déjà transformé profondément la société. C’est ce qui apparaît de manière frappante avec les nouvelles générations et la manière, par exemple, dont elles travaillent ou encore dont elles se rapportent à l’autorité. Ces digital natives ont une vision de la société très différente. Lorsque cette génération va arriver dans le monde du travail, on peut s’attendre au meilleur comme au pire. Les habitudes collaboratives extrêmement répandues qui sont les leurs provoquent une méfiance à l’encontre de la hiérarchie en même temps qu’elles favorisent une conception non concurrentielle du travail. La transparence et le partage de l’information pourront déboucher sur beaucoup plus de compétitivité et donner lieu à de nouvelles manières de dynamiser la création du travail en entreprise. Mais elles pourront tout aussi bien se heurter aux modes de fonctionnement traditionnels du travail et de l’entreprise, et provoquer des remises en cause systématiques de l’autorité professionnelle qui ne sembleront pas toujours légitimes. Deux rapports au travail vont donc cohabiter dans quelques années, et cela, il nous revient de l’étudier dès maintenant, pour bien anticiper les changements à venir et les conflits possibles. l’Oi : allons-nous voir l’émergence de nouveaux modèles économiques ?NKM : pour le moment, Internet fonctionne globalement selon trois modèles qui sont tous évolutifs : le monde du strictement gratuit, qui est relativement limité et très militant ; celui, ensuite, qui lui est le plus étranger, du logiciel fermé, du système propriétaire. Il s’agit du monde dans lequel tous les équipements et contenus sont enfermés dans un même système clos. Enfin, entre ces deux mondes, se trouve un espace où les internautes circulent avec l’illusion d’une certaine gratuité, mais qui ne l’est pas : c’est le monde dans lequel les internautes paient indirectement, en concédant des données personnelles, celui notamment des réseaux sociaux. Cet “ intermonde ” est plus mouvant et il est également plus compliqué à appréhender, car il est le plus récent. Il sollicite en outre une prise de conscience de la part de l’internaute, qui doit se demander à un moment ou à un autre sur quoi et comment il navigue, ce qu’il encourage indirectement, ce qu’il favorise. D’une manière ou d’une autre, à un moment ou à un autre, tout est monnayé sur le réseau Internet, en dépit de l’apparence de gratuité. l’Oi : on aborde ici le problème de la sécurisation des données personnelles sur Internet ? Comment y faire face ?NKM : dévoiler des données personnelles n’est pas forcément préjudiciable en soi. Il faut, en revanche, le savoir, en avoir conscience. Il faut, en outre, avoir la possibilité de revenir en arrière, de corriger ses informations. Un individu ne fait pas le même usage de ses données personnelles de la même manière tout au long de la vie. La lutte pour la protection de la vie privée est un sujet primordial dans nos projets relatifs à la gouvernance de l’Internet. L’un des meilleurs angles pour aborder ces questions est à mes yeux celui du “ droit à l’oubli ”. La plus grande difficulté tient dans la capacité à se mettre d’accord, tant au niveau national qu’international, sur ce que sont au juste des “ données personnelles ”. L’appréhension est différente selon les pays et selon les habitudes ; elle l’est également selon les individus. La pudeur ne s’exprime pas à l’identique vis-à-vis des mêmes choses ou selon les mêmes circonstances. En revanche, il y a une exigence qui traverse toutes les cultures, tous les systèmes juridiques et toutes les traditions, qui est cette possibilité de pouvoir oublier. C’est la prescription. Avant de nous mettre d’accord sur ce qu’est une donnée personnelle, réfléchissons ensemble au moyen de l’effacer. l’Oi : les développements d’Internet sont-ils compatibles avec une politique répressive ?NKM : il faudrait d’abord que l’on s’accorde sur ce que l’on appelle une politique répressive. Les anciens modèles se détruisent plus rapidement que les nouveaux modèles se construisent. Dans l’entre-deux, il faut à la fois accompagner la société dans sa transformation et accélérer la construction d’un monde nouveau pour retrouver des équilibres justes et favorables. Il en va ainsi depuis que le monde est monde. Je n’aime pas le mot “ répressif ”, car il est aussi flou que subjectif. Pour les uns, il s’agit d’établir de nouvelles règles adaptées à Internet, pour d’autres, de prolonger d’anciennes règles en les appliquant à Internet. Je doute qu’il soit pertinent de choisir une fois pour toutes entre les deux termes de cette alternative. l’Oi : que pensez-vous de l’expansion des réseaux sociaux et du microblogging ?NKM : c’est le volet naturel social du développement du Web collaboratif. Chaque réseau social correspond à une fonctionnalité précise, avec ses spécificités, son tempérament. Leur point commun est la relation. Le réseau social est une arborescence de relations articulées autour d’une dominante. Avec Twitter, nous sommes dans le spontané, dans l’instant, dans le flux. Et pas seulement dans la diffusion d’informations, mais dans la création et l’entretien d’un nouveau lien. Pour Facebook, il s’agit plutôt d’être dans la construction d’une relation exclusive, privilégiée, sur la durée. Le réseau social ajoute alors une nouvelle dimension à la rencontre. l’Oi : comment utilisez-vous personnellement ces moyens de communication et à quelles fins ?NKM : j’essaie d’utiliser chacun des réseaux sociaux dans sa fonctionnalité propre, sans forcément en privilégier un. Ils ont chacun leur charme. Je vais lancer mon blog car je souhaite avoir un espace de dialogue qui soit ouvert à tous et sur lequel je puisse parler de mes différentes fonctions. Sur Facebook, je mets mes carnets de voyages, j’entretiens une relation avec des gens sur la durée. Twitter relève beaucoup plus de l’interpellation, de la réaction très vive, y compris sur l’actualité. J’aime le contact direct, qui est comme une respiration commune avec des internautes. Je twitte à tout moment, avec une moyenne de 4 à 5 tweets par jour. J’ai plus de 7 000 followers. Les gens apprécient d’avoir un contact direct avec le politique. La règle du genre, c’est l’échange.* Le serious gaming est l’application des technologies et du savoir-faire du jeu vidéo à des fins de formation et de transmission de connaissances.
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