Tristan Nitot, président de Mozilla Europe, nous a reçus dans son siège parisien pour nous faire partager le virage pris par la fondation. D’ici à la fin de l’année, nous verrons apparaître son nouvel OS mobile, Boot to Gecko (BtoG) qui cherchera à se frayer une place entre iOS et Android. En plus de ce système, Mozilla inaugurera une boutique où l’on pourra trouver des applis gratuites et payantes. La fondation arrivera-t-elle à faire avec BtoG ce qu’elle a réussi avec Firefox ? C’est ce qu’elle espère.
01net. : Firefox est en deuxième place, après Internet Explorer et devant Chrome. Comment un OS libre peut tenir tête à des entreprises si importantes ?
Tristan Nitot : En fait, notre priorité est de prendre soin des utilisateurs, dont nous faisons partie. Mozilla est une entité à but non lucratif, mais aussi une communauté. Ces deux points sont essentiels pour comprendre comment et pourquoi nous faisons ces choses. Nous pouvons être perçus comme un système commercial puisque nos concurrents sont des entreprises privées à but commercial. Firefox n’est pas seulement un produit sur un marché.
A l’époque du lancement, il y avait une frustration énorme des utilisateurs du Web qui était une promesse formidable de liberté. Puis, Microsoft a pris le contrôle des navigateurs avec Explorer, qui a rapidement pris 90 % de parts de marché. Leur but était de maîtriser le flux du Web sans chercher à l’améliorer. Leur but était de protéger Windows et Office. Des développeurs ont donc créé Firefox pour disposer d’un navigateur moins commercial et pour sauver le Web.
Comment allez-vous continuer à vous distinguer par rapport à vos deux concurrents (Explorer et Chrome) ?
Ça va être dur, car Microsoft s’est remis au boulot et a évolué comme le montre la version qui apparaîtra avec Windows 8. Pour nous, ce réveil n’est pas une menace, mais une victoire. Le monde dans lequel il y a Explorer, Chrome, Mac OS et, dans une moindre mesure, Opera, est devenu plus créatif et globalement respectueux des standards. Ce marché est vivant, et le Web plus vivant que jamais. C’est ce que nous cherchions. Nous sommes un aiguillon qui incite le marché à ne pas s’endormir avec les add-on et une innovation plus rapide.
Pour information, il s’est passé cinq ou six ans pour passer d’IE 6 à IE 7 ! Désormais, il lance une Release tous les ans et il nous faut continuer. Depuis l’été dernier, nous sommes dans un cycle de Release rapide avec une nouvelle version toutes les six semaines. Nous avons aussi étoffé notre équipe. Aujourd’hui, il y a 600 employés chez Mozilla, dont 270 ont été recrutés l’an dernier.
Au départ, nous n’étions qu’une poignée de bénévoles qui voulions botter les fesses d’un géant endormi. Aujourd’hui, le géant s’est réveillé avec d’autres. Google, Microsoft et Apple sont des monstres. Même Amazon s’est mis à faire un navigateur pour son Kindle Fire. Nous sommes les plus petits, mais nous nous sommes équipés pour leur faire face. Nous continuons donc à faire évoluer Firefox, mais le monde a changé avec le mobile, les tablettes et les magasins d’applications.
Vous travaillez sur un OS Mobile et un Market. Cette fois, n’est-ce pas ces géants qui vous mettent la pression ?
Ce n’est pas comme ça que je le vois. Il s’agit plutôt d’une évolution organique du marché sans volonté d’ensemble. C’est un déplacement de la valeur des plates-formes qui passe de l’OS aux magasins d’applis.
Ces magasins ne mettent-ils pas le « libre » en danger ?
Clairement, oui ! Mountain Lion, le prochain OS d’Apple, propose de n’autoriser que les installations provenant du Mac App Store. Il se passera la même chose chez les autres. Nous allons nous différencier en ouvrant tout. C’est la spécificité de Mozilla. En juillet dernier, l’un de mes confrères, Andreas Gal, a présenté un projet qu’il a appelé BtoG. Il n’y avait rien, à part une idée, et tout le monde a été surpris même en interne chez Mozilla. Pour Andreas, il s’agissait seulement d’une expérience.
Sur quels types de téléphones va-t-il fonctionner ?
Pour l’instant, nous le faisons tourner sur un Galaxy S2, qui est devenu notre plate-forme de tests. Mais il est destiné à tous les fabricants qui voudront l’utiliser. C’est un OS libre, ils n’ont qu’à se servir. D’ailleurs, nous leur avons présenté au Mobile World Congress, ça a été l’émeute. En fait, il faut seulement que les smartphones soient basés sur HTML 5 et combinés à de puissantes API Web.
Revenons sur le Market. Y trouvera-t-on des applis payantes ?
Oui, bien sûr. Cela assure la pérennité de l’appli qui peut contenir des données importantes. Et puis, pour développer et améliorer leurs produits, les éditeurs ont besoin de gagner de l’argent. Nous sommes évidemment en discussion avec des éditeurs. Il s’agit d’applis qui savent utiliser les technologies du Web, qui pourront donc tourner sur d’autres plates-formes (Mac, PC, Linux) ou sur des tablettes.
Il est possible de les adapter facilement pour les faire tourner aussi sur iPhone puisque fondamentalement elles ont la capacité de tourner sur Safari. Avec notre modèle, l’acheteur d’une application pourra la faire tourner sur tous les appareils qu’il possède si ceux-ci disposent d’un navigateur moderne. Il suffira d’acheter une seule appli une fois pour toutes.
Verra-t-on aussi une version tablette de BtoG ?
Nous nos sommes d’abord focalisés sur une version téléphone en fin d’année. Ce temps ne dépend pas que de nous. Nous sommes liés à un marché qui doit mettre en place du matériel certifié, qui doit assurer une présence en magasin, faire du packaging, etc. Telefonica a créé un site (OpenWebdevices.org) pour annoncer leur intention de commercialiser des smartphones à des prix très abordables dans les pays d’Amérique latine. Nous avons également le soutien des Deutsche Telekom Innovaitons Labs, qui vont fournir des ressources de développement.
En France, êtes-vous en discussion avec Free ou Orange ?
Joker ! Ce que je peux dire, c’est que le marché est totalement secoué. Les opérateurs se sont fait déborder par Apple. Ils en sont revenus, ils se sont jetés sur Android pour se sauver d’Apple, mais ils se font dévorer différemment. Et nous, nous arrivons sans vouloir contrôler quoi que ce soit. Nous voulons avant tout ouvrir des possibilités au public. Une chose est sûre. L’avenir repose sur le mobile. En 2012, il se vendra plus de smartphones que de PC. Tout est dit ! Nous voulons accompagner les utilisateurs pour leur donner la liberté qu’ils méritent avec un logiciel libre.
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