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Mon boss en a bavé…

De start-up en holdings, journal de bord d’un cadre de la nouvelle économie. Il se confie sous pseudo pour parler?” et parfois crier ?” plus librement…

C’est un scandale ! Aujourd’hui encore, on nous appelle “nègres”, et on nous traite plus mal que des animaux ! Contre cette atteinte à nos droits les plus fondamentaux, que propose-je ? Eh bien qu’on ne nous appelle plus “nègres”, mais “auxiliaires d’écriture”, ou à la rigueur “techniciens de surface imprimée”. J’en ai marre de ces insultes racistes qui ponctuent mon passage dans les couloirs, sous prétexte que j’écris l’autobiographie glorieuse de Roland Ier, roi de la net économie, et PDG de notre remarquable groupe, qui prépare son entrée fracassée en Bourse. Car tout est là : notre Présomptueux Directeur Génial veut que l’on parle de lui dans tous les médias pour monter en épingle son édifiante success story.Directeur de la communication devenu directeur de l’intox, me voilà donc, prenant ma plus belle plume et mon style du dimanche, en train de maquiller notre Rastignac-tête-à-claques en Saint-Jacques-du-Nasdaq, amen… La première séance a eu lieu dans son bureau, à l’heure où les lions vont boire leur whisky. Desserrant sa cravate et sirotant son baby, ivre de lui-même et de son destin exemplaire, il se mit donc à me raconter, la voix étranglée par l’émotion. “Mon père, qui dirigeait le groupe pharmaceutique V…” Aïe, catastrophe. “Roland, désolé de t’interrompre, dis-je en appuyant sur la touche Pause du magnéto, mais il vaudrait peut-être mieux ne pas insister sur euh… tes origines, car…” Blessé, furieux, ce raciste flingua aussitôt son nègre du regard. “Excuse-moi, Roland, mais ton père étant très riche et peu connu, on peut sans problème faire l’impasse sur… comment dire ? Eh bien sûr ce que des langues de vipère appelleront une “enfance dorée”…” Là, j’ai failli me faire virer sur le champ. “Dorée ? Qu’est-ce que tu veux dire ? Que je suis un fils à papa, c’est ça ?” Attention, danger de mort. “Bien sûr que non ! D’ailleurs tu m’as déjà raconté cet épisode pénible, quand il a dû vendre sa deuxième Rolls au lieu de te la donner pour remplacer la Jaguar offerte pour ton bac…” Roland hésita un instant, puis décidant à tort que je ne me foutais pas de lui, les larmes aux yeux : “Oui, mon père s’obligeait à être très dur avec moi, pour le golf aussi, où il ne me passait pas une erreur sur le drive, mais il avait si bon c?”ur au fond…” Ouf. “Et ta mère ?” Un ange passe et le verre de whisky trépasse. “ça, ce n’est peut-être pas la peine de l’écrire… En fait, elle travaillait pour lui, c’était sa secrétaire et…” Miracle. “Excellent, ça, Roland : excellent !” Il fronce les sourcils : “Non, elle interdit qu’on parle de ça ! Papa aussi…” Je lui réponds avec un sourire complice qu’ils l’aiment assez pour ne penser qu’à son intérêt. Et que son intérêt, c’est un début de premier chapitre du genre : “Ma mère, secrétaire, travailla dur pour payer mes études et ce cadeau inespéré qui rendit moins pénibles mes trajets vers la fac : un magnifique scooter d’occasion, de troisième main, mais qui en ces temps difficiles me remit le c?”ur à neuf” Roland me lance un regard sévère. Trouve-t-il que j’en fais trop, et le procédé indigne ? “Non, “magnifique scooter”, c’est nul, vas-y mollo ! Ladjectif “magnifique”, tu me le barres ! ça fait trop riche. Et tu barres aussi “scooter”, ça fait fils à Papa. Restons sobres : mets plutôt “bicyclette””

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La rédaction