L’un des charmes absolus de notre époque est d’avoir rendu l’économie romanesque, et le roman économique. Messier, par exemple, c’est un roman-feuilleton, où le PDG semble à son zénith d’inventions, d’intrigues surréelles. L’annulation de l’assemblée générale du 24 avril est ainsi un monument fictionnel, un rebondissement merveilleux à une histoire palpitante qu’on lirait volontiers le soir à ses enfants avant le dodo. ça donnerait à peu près : “La nuit tombe sur La Villette. La lune se réflète sur les canaux tout proches. Déjà, l’armée dansante des petits porteurs se disperse. Mais, à son zénith, le général Messier se rebiffe. Il piétine ce qui ressemblait pourtant à une victoire. Il gifle la petite fille qui porte au vainqueur sa couronne de laurier blanc. Messier est en colère. Son visage écume. Il soutient que des espions ont piraté, comme dans un épisode de Mission Impossible, avec Martin Landau, le vote électronique de l’assemblée. Des espions à la solde de qui ? Tel un César vivant entouré d’ennemis, les plus affirmés n’étant pas forcément les plus dangereux, Messier ne désigne personne. Alors qui ? Les nigauds trotskistes de Canal Plus ? En ce cas, pourquoi n’ont-ils pas piraté la résolution entérinant le départ de Pierre Lescure, laquelle est passée comme une lettre à la poste, du moins si elle n’est pas privatisée ? ” Qu’on rappelle l’armée des petits porteurs ! Hélas, Général, ils semblent entrer en sédition ! C’est le putsch des caporaux ! ” En haillons, les petits porteurs encerclent le général. En désespoir de cause, il lance un appel radio pour que le Maréchal Paribas contre-attaque sur le flanc droit. Hélas ! Les appels radio ont été piratés par les hommes de Mission Impossible, dont certains disent qu’ils ont été embauchés par ce bandit de grand chemin, ce marchand de papier, le fort redouté Bolloré ! Allez, les enfants. Il est temps de dormir. Le marchand de câble, soyons modernes, va bientôt passer.” Une chose est sûre : le programme que vous venez de suivre était en version cryptée. Car, pour comprendre Jean-Marie Messier aujourdhui, il faut un décodeur. De quoi, peut-être, relancer les abonnements à Canal Plus.* Journaliste et essayiste
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