Bill Gates est amer. “Je pensais qu’avec la position qui est la nôtre dans l’industrie, nous serions davantage soutenus.” C’est plutôt le contraire qui s’est produit. Jugé coupable d’abus de position dominante, raillé par ses concurrents, conspué par ses partenaires et ses clients, l’éditeur a le c?”ur gros. On aurait pu le croire sur le déclin, affaibli, démotivé par le procès. C’est tout le contraire. Microsoft revient plus fort et plus dangereux que jamais. Il se prépare même à une offensive tous azimuts, reprenant à la lettre son credo :“embrasser et étendre”.Entre 2001 et 2002, près d’une quinzaine de produits ont été ou seront lancés. L’objectif : étendre son champ d’action des téléphones portables aux progiciels, en passant par les consoles et les services web.
Un éditeur décidé à relever de nouveaux défis
Cette fois, Microsoft entend bien faire taire les critiques. Lui qui a bâti sa fortune en “s’inspirant” des logiciels concurrents, il joue maintenant la carte de l’innovation pour s’imposer sur les portails d’entreprise et les services web. On lui reprochait une approche propriétaire, fondée sur l’intégration à Windows ? Il se veut le meilleur garant des standards (XML, Soap, HTML).L’éditeur relève même les défis. Il part affronter des mastodontes sur des marché où sa domination sur le poste de travail ne garantit pas le succès ?” les consoles de jeux et les téléphones portables, par exemple. Enfin, fini l’arrogance. Microsoft se veut moins agressif, plus à l’écoute des critiques tant des utilisateurs que de l’industrie.L’ogre de Redmond serait-il devenu plus doux ? Pas vraiment. Même si le procès a laissé des traces, c’est à un Microsoft beaucoup plus affûté que l’on a affaire. Un Microsoft qui non seulement embrasse de nouveaux marchés, mais qui étend aussi sa puissance de façon bien mieux organisée. Jusqu’ici, sa stratégie était restée la même : développer des plates-formes, puis bichonner les développeurs pour se poser en standard incontournable. Il se place ainsi dans un cercle vertueux, sur la portion la plus juteuse du marché.Là où davantage de développeurs entraînent davantage d’applications et, donc, d’utilisateurs, qui, à leur tour, attirent des développeurs. Cette équation a fait le succès du tandem Windows/Visual Studio et celui d’Office/Visual Basic. C’est ce qu’il veut aujourd’hui rééditer avec Stinger, le futur système d’exploitation pour téléphones, ou avec la console de jeux X-Box.
Office promu frontal des grands progiciels
Pour l’heure, les développeurs sont plutôt ravis. Mais l’euphorie pourrait être de courte durée. “Ça me rappelle les premières heures de Windows, ironise Georges Telby, responsable marketing de X-Gaming. Au départ, tout le monde est excité. Mais on déchante quand Microsoft lance ses propres logiciels, qui utilisent des fonctions non documentées du système.”Ces derniers mois, cette stratégie semble céder le pas à une autre, beaucoup plus insidieuse. Il ne s’agit plus seulement de développer des plates-formes, mais de renforcer les synergies entre les produits pour qu’ils soient interdépendants (voir l’article “Un arsenal pour rendre Microsoft encore plus incontournable” de ce dossier). L’objectif n’est ni de concevoir des suites comme Office ni de jouer l’intégration verticale comme dans Windows. Ce nouveau schéma permet de profiter de la base installée d’un produit pour tirer les ventes d’un autre, a priori éloigné, et prendre pied sur de nouveaux marchés.Office est un bon exemple de cette stratégie. Jusqu’ici, cette division travaillait de façon plus ou moins indépendante. La suite bureautique se mue aujourd’hui en une sorte de cheval de Troie, chargé d’investir le marché des progiciels et de doper les ventes de Sharepoint, le portail maison. Microsoft a réalisé qu’il ne pouvait pas concurrencer des acteurs comme Peoplesoft, SAP ou Siebel dans les grands logiciels d’entreprise. En revanche, il entend utiliser sa puissance sur le poste de travail pour faire d’Office le frontal des grands progiciels.L’initiative peut surprendre au moment où l’industrie tout entière a admis le navigateur comme client universel. Mais l’éditeur a toujours été un fervent partisan du client lourd. “Il est déjà possible de rédiger un courrier sous Word ou de manipuler des tableaux web sous Excel. Il ne manque pas grand-chose pour pouvoir valider des commandes, interroger des bases de données et créer des rapports. Office est un formidable outil de manipulation de l’information”, assure Jeff Teper, patron des portails d’entreprise chez Microsoft.
Un projet d’intégration d’applications embryonnaire
Ce nouveau rôle dévolu à Office explique pourquoi l’éditeur s’attache à faire de XML le format de données de prédilection de sa suite. Il veut s’assurer que les informations issues d’un progiciel pourront être manipulées directement sous Excel, sans passer par une phase d’extraction. C’est aussi l’ambition ultime des Smarttag, ces balises intelligentes qui s’illuminent ici et là dans Office XP. Jusqu’ici, leur rôle était plutôt anecdotique. Mais, demain, elles pourraient activer des processus métier. Cependant, ce projet d’intégration d’applications sous Office reste aussi fumeux qu’embryonnaire. Les premiers éléments d’Office .Net et des serveurs intermédiaires associés ne sont pas attendus avant le milieu de l’année prochaine.Bizarrement, tout cela s’effectue devant l’indifférence de BEA et d’IBM, et avec la bénédiction des éditeurs de progiciels, lesquels ne s’intéressent que très peu au poste client. Or, Microsoft pose doucement ses jalons. Pour l’heure, son offre a encore du mal à soutenir la comparaison face aux portails des ténors du marché. Mais, avec la troïka Office, Exchange, Sharepoint marchant à l’unisson, il cherche à devenir incontournable.Cette volonté de synergie entre les applications peut aller très loin. Microsoft tente actuellement de l’appliquer à Windows et à ses services web ?” sa fameuse stratégie .Net. L’objectif, très ambitieux, consiste à se positionner au carrefour des échanges pour devenir un passage obligé. Avant, bien sûr, d’installer un péage. Pour éviter de s’attirer les foudres de l’industrie, l’éditeur a commencé par une approche ouverte et multi-plate-forme. Ses services web s’appuient ainsi sur de vrais standards. Et, pour une fois, ils seront compatibles avec tout type de clients et de serveurs.
Une dîme prélevée sur les transactions internet
Si Microsoft ne sera pas seul à proposer des services web, il sera en mesure de promouvoir les siens dans Windows et Office. Avec une telle base installée, les services concurrents auront le plus grand mal à exister. Dans Windows XP, par exemple, dès que l’on visionne une image, le système propose un lien pour acheter des photos en ligne. Mais celui-ci ne renvoie que vers les trois partenaires ayant accepté de payer une “taxe”. En jouant la synergie Office et Windows, Microsoft s’est donc construit une formidable machine de “désintermédiation”.En clair, il reprend à son compte une bonne partie de la transaction. “Aujourd’hui, nous maîtrisons toute la chaîne de notre relation client, explique John Herr, vice-président du site eBay. Demain, avec .Net, Microsoft s’en appropriera une partie grâce à Windows et à des technologies comme Passport (service d’identification unique sur internet ?” NDLR).” Une perspective qui n’a pas l’air de déranger eBay, mais qui en horripile d’autres ?” Amazon, par exemple, qui a préféré se rallier à AOL.Car, en prélevant une dîme au carrefour des transactions, l’éditeur met un pied sur des marchés comme la banque, la vente en ligne, le courtage ou les enchères, sans en être un acteur à part entière. “Microsoft est un océan, et nous baignons tous dedans”, regrettait Mark Epply, président de Laplink, aux plus chaudes heures du procès. Si le pari de la synergie s’avère gagnant, l’océan Microsoft ne sera plus limité aux applications Windows. Et beaucoup pourraient s’y noyer.
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