01net. La seconde phase du SMSI se tiendra du 16 au 18 novembre prochains à Tunis. Quel est votre sentiment à la veille de cette manifestation dont l’un des objectifs premiers était de réduire la fracture numérique entre les
pays du Nord et les pays du Sud ?
Meryem Marzouki. Je ne suis pas très optimiste. Je ne crois pas qu’à ce stade des négociations cette conférence puisse déboucher sur des décisions concrètes. Si tel était le cas, ce serait deux ans de perdus pour tout le
monde. In fine, nous allons peut-être assister à une reprise des principes énoncés à Genève en 2003, et il existe même un risque de recul, notamment sur la question de la liberté d’expression.Comment expliquez-vous cela ?
Dès le départ, on a considéré l’évolution de la société de l’information sous son aspect purement technique. C’était une simple affaire de tuyaux. L’organisation du SMSI a donc été confiée à
l’UIT (Union internationale des télécommunications). Or, l’activité de cette agence onusienne est centrée depuis des années sur les satellites et les téléphones. Sans préjuger des
résultats, les débats auraient peut-être pris une toute autre tournure si, au lieu de l’UIT, l’UNESCO (l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture) avait été désignée pour mettre sur pied cette conférence
internationale.Des initiatives ont tout de même vu le jour dans la perspective du SMSI, comme le Fonds de Solidarité Numérique, créé avec le soutien du président de la République du Sénégal, Abdoulaye Wade ?
Ce fonds privé repose sur le volontariat. Il s’agit d’une vision libérale de l’aide au développement. Avec ce type de dispositif, nous sommes presque dans le caritatif. Or, si cela peut déboucher sur des résultats positifs ici ou là, une
telle approche n’est fondamentalement pas de nature à résoudre les problèmes et les enjeux actuels qui dépassent de très loin ce genre d’initiatives.Les négociations de préparation du Sommet de Tunis ont achoppé, entre autres thèmes, sur la question de la gouvernance de l’Internet. Où en est-on aujourd’hui ?
Le contrôle de fait que les Etats-Unis exercent aujourd’hui (via l’ICANN qui dépend en pratique du ministère du Commerce américain) pose un véritable problème de souveraineté. Il n’est pas normal, par exemple, que la mise en place du .eu
pour l’Europe soit tributaire de l’assentiment du gouvernement américain. Cette situation a conduit des pays comme l’Inde, la Chine ou le Brésil à proposer une approche multilatérale. L’Europe s’est également exprimée sur le sujet. Mais les
Américains ne veulent pas en entendre parler. Ils expliquent en substance que la situation actuelle garantit la liberté d’expression. Et dans ce registre, si l’on doit reconnaître qu’il y a un besoin d’évolution, il faut aussi relever qu’une
approche multilatérale présente aussi des risques. Aux Nations Unies, par exemple, on a très bien vu ce que cela donnait quand un Etat comme la Libye préside la Commission des droits de l’Homme.Quelle est la position du
caucus des droits de l’Homme
(qui comprend une soixantaine d’organisations) sur ce dossier ?
Nous pensons qu’une solution raisonnable serait de réfléchir à l’idée d’un Internet basé sur des DNS [systèmes de noms de domaine, NDLR] alternatives. Il y aurait plusieurs ICANN (un ICANN pour le public, un pour le
privé, un pour le monde associatif…) et, au-dessus de tout cela, un organisme qui veillerait à la fiabilité de l’ensemble en faisant en sorte, par exemple, que l’on ne se retrouve pas avec deux .com. Cette solution aurait pour intérêt de
sortir ce débat de l’ornière politique où il s’enlise actuellement.En marge du SMSI, se tiendra également à Tunis le SCSI (Sommet citoyen de la société de l’information), une manifestation organisée par un collectif d’associations comme
IRIS
ou
Human Rights Watch.
Quel est l’objectif de ce SCSI ?
Nous allons aborder et évaluer les résultats du SMSI dans une perspective citoyenne, c’est-à-dire à travers le prisme de la liberté civile ou politique, mais aussi par exemple de la libre utilisation du savoir. Ce sera aussi l’occasion de
donner la parole à des organisations tunisiennes (comme le Syndicat des journalistes tunisiens) qui, parce quelles ne sont pas reconnues dans leur pays, ne pourront pas faire officiellement entendre leur voix au SMSI.
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