Censure, surveillance des utilisateurs chinois, fermeture de compte d’un dissident… Selon un livre d’une lanceuse d’alerte qui parait cette semaine, Mark Zuckerberg, l’homme à la tête de Facebook, Instagram et WhatsApp, aurait proposé à Pékin des outils de censure de Facebook, en vue d’accéder au marché chinois et à ses millions d’utilisateurs. Son auteur, la lanceuse d’alerte Sarah Wynn-Williams, publie un ouvrage qui s’intitule « Careless People : A Cautionary Tale of Power, Greed, and Lost Idealism » (littéralement, « Des gens négligents : un récit édifiant sur le pouvoir, la cupidité et l’idéalisme perdu »).
L’ancienne directrice des politiques publiques mondiales du groupe y décrit à quel point le fondateur de Facebook serait allé loin pour tenter de réimplanter Facebook en Chine, un pays dont il a été exclu en 2009, rapporte le Washington Post, dimanche 9 mars.
Accès aux données des utilisateurs chinois, outils de censure, des opposants ciblés…
La lanceuse d’alerte a aussi déposé plainte en avril dernier auprès de la SEC (la « Securities and Exchange Commission »), le gendarme de la Bourse américain – une plainte parcourue par nos confrères américains. Selon l’ancienne cadre, Mark Zuckerberg, qui s’est souvent présenté comme un grand défenseur de la liberté d’expression, voulait tellement réintégrer le marché chinois qu’il serait allé jusqu’à proposer aux autorités locales de leur donner accès aux données de ses utilisateurs chinois. Mais ce n’est pas tout.
Pour convaincre Pékin, le groupe aurait aussi travaillé sur des outils de censure permettant de supprimer tout contenu qui s’éloignerait de la ligne officielle du parti communiste chinois. En détail, cet instrument aurait permis de détecter automatiquement des termes « problématiques » pour Pékin. L’entreprise aurait accepté d’embaucher au moins 300 « modérateurs de contenus » pour contrôler les publications dans le pays, selon la plainte.
Enfin, Meta aurait même envisagé de cibler des opposants chinois qui vivent aux États-Unis, allant jusqu’à fermer un compte d’un dissident chinois vivant outre Atlantique, rapporte l’ancienne cadre.
Le projet Aldrin, une version de Facebook conforme à la censure chinoise ?
Ce n’est pas la première fois que Facebook est accusé d’avoir développé un outil de suppression de contenus, pour tenter de réintégrer le marché chinois, dont il est exclu depuis 2009. En 2016 déjà, le New York Times rapportait une histoire similaire. Mais cette fois, la lanceuse d’alerte, qui a été licenciée en 2017, nous livre des détails sur ce à quoi Facebook était prêt pour avoir accès aux millions d’utilisateurs chinois.
En 2014, explique l’ancienne salariée, Facebook aurait créé en coulisse une équipe dont l’objectif était bien particulier : lancer une version du réseau social qui aurait été « conforme » aux lois chinoises – son nom de code : « Project Aldrin ». Meta aurait aussi proposé qu’une société chinoise soit chargée d’examiner et de décider si le contenu publié par les utilisateurs basés en Chine était bien « conforme à la loi applicable » dans le pays.
Dans un communiqué, Andy Stone, porte-parole de Meta, a déclaré que le fait que Meta soit intéressé par la Chine était loin d’être « un secret ». « Cela a été largement rapporté il y a une dizaine d’années », et « nous avons finalement choisi de ne pas aller jusqu’au bout des idées que nous avions explorées, ce que Mark Zuckerberg a annoncé en 2019 », a-t-il ajouté. Cette année-là, Meta a finalement abandonné son projet de s’implanter dans le pays, au moment même où Donald Trump entamait, pendant son premier mandat, la guerre commerciale avec la Chine.
Contacté par le Washington Post, Meta a indiqué que la lanceuse d’alerte avait publié « un mélange d’allégations datées, pour certaines déjà connues, et d’accusations fausses contre notre direction ». Le groupe indique que cette dernière est « payée par des militants anti-Facebook », et qu’elle aurait été licenciée « après une enquête interne qui a établi qu’elle avait porté des accusations fausses de harcèlement ».
Un défenseur de la liberté d’expression prêt à limiter la liberté d’expression en Chine ?
La publication de cet ouvrage intervient quelques semaines après un revirement de Mark Zuckerberg en faveur de Donald Trump. Si le PDG du groupe a cherché à montrer patte blanche après le scandale de Cambridge Analytica en 2016, il a tout récemment changé de braquet, après le retour du milliardaire à la Maison Blanche.
En janvier dernier, Mark Zuckerberg s’est en effet présenté comme un grand défenseur de la « liberté d’expression », en comparant les programmes de vérification des faits à de « la censure » sur les réseaux sociaux. Il a décidé de confier à ses utilisateurs la modération de ses plateformes Facebook et Instagram en adoptant le système des « notes communautaires », comme cela existe sur X, la plateforme d’Elon Musk : un moyen de « rétablir la liberté d’expression », expliquait-il alors – une liberté qu’il aurait pourtant volontairement mise de côté, pour accéder au marché chinois quelques années plus tôt, selon Sarah Wynn-Williams.
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