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Mais où sont donc passés les PC Windows 10 à processeur ARM ?

Trois ans après l’officialisation du projet par Microsoft et Qualcomm, l’écosystème ARM x Windows progresse lentement. Mais Qualcomm professe – et espère ! – une accélération en 2021, notamment dans l’entrée de gamme.

Cela fait un peu plus de trois ans que l’aventure de Windows 10 sur processeurs ARM Snapdragon a commencé. Annoncé au Computex de Taipei en juin 2016, le partenariat entre le géant logiciel Microsoft et son compagnon américain Qualcomm a défrayé la chronique en octobre 2019 dernier lors de la présentation de la Surface Pro X. Il s’agissait en effet du premier ordinateur ARM propulsant Windows depuis l’échec des Surface sous Windows RT – une aventure entamée en 2012 et enterrée trois ans plus tard.

Le retour en grâce des processeurs à jeu d’instruction ARM dans les PC a fait couler beaucoup d’encre : Intel était-il (pour la millième fois…) mort ? Les progrès obtenus grâce aux formidables volumes de vente des smartphones allaient-ils permettre à ARM de s’imposer dans l’un des derniers bastions des puces x86 ?

En cette fin 2020, alors même que ARM semble consolider son emprise sur le monde informatique avec la bascule prochaine d’Apple, rien ou presque n’a changé dans le monde des PC Windows, où le x86 d’Intel et AMD règne toujours en maître. Non seulement les débuts de Surface Pro X ont été difficiles côté logiciel, mais les machines Snapdragon sont rares. Ainsi, nous n’avons jamais réussi à mettre la main sur une Surface Pro X et presque toutes les machines que nous avons testées étaient envoyées en QWERTY depuis le Royaume Uni… Quant au Snapdragon 8cx Gen 2 fraîchement annoncé, la puce ressemblait bizarrement à la première génération, à peine retouchée.

Pourquoi diable ne pas avoir sorti une véritable nouvelle génération de puces, comme le fait tous les ans la marque dans le domaine des smartphones ? Et où sont les machines ? Et pourquoi celles que nous avons pu prendre en main sont si chères ?  Pour répondre à ces questions et savoir où vont les PC ARM64, nous avons eu la chance de parler au grand chef du programme. Qui a répondu franchement à nos questions.

Le PC, un écosystème plus lent… et plus verrouillé

Adrian BRANCO / 01net.com – – Miguel Nunes, Senior Director, Product Management chez Qualcomm lors de la présentation des Snapdragon 7c et 8c au Snapdragon Summit en décembre 2019.

Début septembre dernier, Qualcomm sort de son chapeau une nouvelle puce, le Snapdragon 8cx Gen 2. Ou plutôt une itération qui reprend les bases du 8cx mais ajoute des raffinements technologiques. « En performances brutes, le 8cx Gen 2 est globalement équivalent au premier 8cx », nous a expliqué par téléconférence Miguel Nunes, le responsable de Snapdragon on Windows chez Qualcomm (son titre exact est Senior director of product management for Windows strategy and products).  « Mais nous avons affiné à la fois le logiciel ainsi que le matériel, puisque la puce profite de meilleures performances en IA, intègre le Wi-Fi 6, gère deux écrans en 4K60p, la suppression des bruits parasites pour la visioconférence, etc. »

Une version améliorée c’est bien, un nouveau processeur avec encore plus de coeurs c’est mieux. Mais à entendre Mr Nunes, le monde du PC vit dans un rythme à part. « Le monde du PC ne tourne pas à la même vitesse que celui des smartphones, nous l’avons appris en nous lançant sur ce marché ! », relate Mr Nunes. « De plus, nos puces étaient prêtes bien avant que nos partenaires industriels soient parés à les intégrer. Ainsi, si le 8cx Gen 2 n’est qu’une évolution, nous continuons évidemment de développer de nouvelles puces. Mais nous ne voulons plus faire d’annonces aussi en avance par rapport à la mise sur le marché des produits », continue-t-il.

Adrian BRANCO / 01net.com – Si le développement du Yoga 5G a été annoncé en juin 2019 dernier au Computex de Taipei, l’appareil n’est toujours pas arrivé sur le marché. Sa commercialisation devrait commencer d’ici la fin de l’année.

Si la crise du COVID-19 a logiquement retardé les plans de Qualcomm, elle a touché toutes les industries, et n’explique pas les retards. Et certainement pas les positionnements premium adoptés par certains constructeurs comme Microsoft d’une part – la Surface Pro X était la plus chère des Surface lors de son annonce l’an dernier –, mais aussi d’autres constructeurs tels HP, Samsung ou Lenovo.

« Nous ne contrôlons pas le prix des machines », se défend Mr Nunes. « Ce sont les OEMs (les marques et/ou leurs sous-traitants qui fabriquent, ndr) qui mettent au point les PC. Et nous sommes bien conscients que les prix sont pour l’heure trop élevés. Mais quand nous aurons plus de modèles de puces sur le marché, nous bénéficierons d’un effet de gamme », promet-il.

Si les constructeurs sont libres, ils vont aussi là où il y a l’argent, le support, le soutien. « Intel et AMD contrôlent l’espace marketing depuis bien plus longtemps. Nous continuons donc d’investir dans les filières commerciales et de forces de vente afin de développer notre propre force de frappe. Mais nous savions dès le départ qu’un tel réseau prendrait du temps à développer », assure Mr Nunes. Avant d’assurer que le produit qui devrait faire décoller les volumes arrive. Et contrairement à ce qui nous pensions, il ne s’agit pas du tout de la puce 8cx haut de gamme…

Le Snapdragon 7c, champion populaire ?

Adrian BRANCO / 01net.com – Miguel NUNES présente le Snapdragon 7c au Snapdragon Summit de Qualcomm organisé à Hawaï en décembre 2019.

Si la puce 8cx et sa version 8cx Gen 2 est sous le feu des projecteurs pour ses performances intrinsèques – pas encore pleinement exploitées par le logiciel – et son intégration dans la mise à jour de Surface Pro X, c’est pourtant un autre cheval de Troie sur lequel Qualcomm mise pour la popularisation de sa plateforme : le Snapdragon 7c. Annoncée au Snapdragon Summit de décembre 2019 dernier, cette puce d’entrée de gamme est porteuse des espoirs de l’entreprise en termes de rapport qualité/prix. Et donc de volumes.

« Le Snapdragon 7c représente un niveau de performances et d’intégration que vous ne pouvez pas trouver dans l’écosystème x86 », professe Miguel Nunes. « Dans une puce de 6 watts (de TDP), vous aurez des performances supérieures à celles des Celeron et autres Pentium Silver avec toutes fonctionnalités Snadragon telles que la connexion 4G, l’accélérateur IA et les technologies d’optimisation de la voix et le processeur d’image puissant pour la visioconférence », explique-t-il. Loin d’être anodines, certaines fonctions commencent à tirer parti de ces éléments sur PC, comme le DSP Hexagon, en charge de l’IA.

« Un éditeur de solution antivirus comme Sophos décharge désormais le processeur central sur le processeur IA pour faire fonctionner ses outils de détection (de virus et autres menaces, ndr) », relate Mr Nunes. Avant d’ajouter que « de plus, toutes nos fonctions de sécurité sont intégrées comme l’hyperviseur, qui n’est présent que dans les puces professionnelles du monde x86. »

Et d’enfoncer le tout avec l’argument massue : le prix. « Cette puce devrait être intégrée dans des configurations aux alentours de 400$ ». Le tout avec une promesse de durée de vie de la batterie au-delà de la journée, ce que ne peuvent pas proposer, pour l’heure, les concurrents en x86. Si on imagine très bien ce genre de puce dans les PC Windows d’entrée de gamme, il y a surtout une autre catégorie de machine qui semble parfaitement adaptée pour l’accueillir : les Chromebook.

L’opportunité Chromebook ?

Lenovo – Il existe des Chromebook fonctionnant avec des puces ARM, mais ce sont généralement des SoC peu onéreux de MediaTek pour des machines aux alentours de 250-300 euros.

Très nord-américain à la base, le marché du Chromebook est en train de doucement s’étendre sur le reste du monde, grâce aux marchés de flottes d’entreprises et à l’éducation. Or, ces secteurs sont plus intéressés par la sécurité, la robustesse des machines, le SAV ou encore l’autonomie que par le type de « moteur » qui est à l’intérieur des machines. Déjà opérationnel sur certaines puces ARM (MediaTek et Rockchip), Chrome OS exécute de plus les apps Android. Et tirerait donc pleinement parti des puces Qualcomm.

Interrogé sur l’adoption de ses puces pour des Chromebook, Miguel Nunes botte en touche. « Nous n’avons pas d’annonce officielle à faire aujourd’hui ». Avant d’ajouter que « ce que je peux dire c’est que nous visons un développement multiplate-forme ». Impossible pour Mr Nunes d’en dire plus, mais du point de vue des fabricants – et de Google, qui veut pousser très fort son système d’exploitation – le 7c est, sur le papier, une arme de choix. Parfaitement taillée pour un monde qui fait de plus en plus appel au télétravail. Pour cause de COVID-19 ou pas.

Écosystème à développer, l’émulation x64 en béquille

C’est officiel depuis quelques semaines : Windows va bientôt prendre en charge l’émulation des programmes x64. Pour faire simple, Windows ARM et ses processeurs Snapdragon savent déjà exécuter les programmes x86 compilés en 32bits, mais pas ceux compilés en 64bits. Mais dès le mois de novembre, les membres du programme « Insider » de Windows 10 ARM devraient profiter de cette fonctionnalité avant qu’elle soit déployée pour l’ensemble des machines.

Si cela va améliorer l’opérabilité des possibles des PC sous puces Snapdragon – de nombreux programmes n’existent qu’en version x64, comme la suite Adobe par exemple –, l’émulation x64 est surtout un gros pansement pour sauver la face. Dans les faits, ce qui compte surtout, c’est que les développeurs compilent leurs programmes à la fois en x32/x64 bits et en ARM64. Or c’est loin d’être le cas, et si les outils étaient prêts du point de vue du développement pur, il s’agissait pour les développeurs de se débrouiller. Seuls ou presque.

Là encore, Microsoft vient jouer (un peu tard…) son rôle de pourvoyeur de logiciel et de service avec le programme App Assure qui a pour but de donner un visage (et des ressources) au support pour le développement d’applications natives ARM64. De même, Qualcomm publie récemment – là encore, un peu tard à notre goût ! – plusieurs entrées sur son site pour venir en aide aux développeurs.
Mais outre cette documentation et cette visibilité du programme qui commence à émerger, un autre vent pourrait souffler dans les voiles des puces ARM sous Windows…

ARM pour les Mac, la chance de Qualcomm ?

Si Qualcomm et Microsoft sont les premiers à s’être (re)lancés dans l’aventure ARM pour l’informatique classique, c’est peut-être Apple qui donnera l’aspiration nécessaire à ce décollage. Car la bascule de son écosystème informatique sur des puces ARM faites maison a fait l’effet d’un séisme dans l’industrie. Et les performances de ses iPad ont donné leurs lettres de noblesse à ce type de puces.

Jadis cantonné au monde de la mobilité et de l’embarqué, ARM arrive dans les supercalculateurs et devrait, d’ici 2-3 ans, propulser quasiment toutes les machines d’Apple, du smartphone à l’iMac. Et Miguel Nunes de tacler : « Si Intel avait présenté une bonne feuille de route, Apple ne basculerait pas ses MacBook sur des puces ARM ». Si l’argument ne prend pas en compte le savoir-faire d’Apple en matière de semi-conducteurs ainsi que le souci de l’entreprise de tout contrôler dans ses produits, il est certain que la firme de Tim Cook est connue pour avoir grogné plusieurs fois à l’encontre d’Intel. Et les retards dans le déploiement de certaines technologies ont sans doute accéléré la décision du géant.

Ce passage des Mac à ARM pourrait permettre aux développeurs de mettre l’architecture ARM64 non pas dans un coin de leur tête et en marge de leurs projets, mais au cœur de leurs flux de travail. De quoi les inciter plus facilement non seulement à compiler en Win/ARM64 mais aussi, espérons-le, à tirer pleinement parti de ce jeu d’instruction. Si tant est que les outils de développement autant sur macOS, Windows ou Linux disposent d’outils, de documentation et de support humain pour rendre l’opération la plus facile et rapide qui soit. Plutôt exotique pour l’heure, les processeurs de Qualcomm pourraient devenir, avec l’arrivée des Mac/ARM, des puces à la mode.

Mais tout n’est pas joué pour Qualcomm, loin de là. Il va falloir prouver que ses puces sont au niveau avec de vraies mesures de performances entre les apps x64 et ARM64. Et pour cela, il va falloir accélérer (très) sérieusement sur l’écosystème logiciel. Ensuite, il faudra maintenir la pression côté technologies, AMD ayant le vent en poupe dans le monde des PC portables et Intel s’apprêtant à intégrer ses propres outils en matière de modems 5G (avec MediaTek) ou d’IA (One API). Sans compter les efforts tant au niveau du marketing (soutien des constructeurs) que de prix. De nouvelles batailles en perspective pour le champion des puces pour smartphones qui n’est, dans le monde du PC, qu’un petit Poucet.

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