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Maëliza Seymour : mathématicienne, codeuse et entrepreneuse, rencontre avec une femme qui fait la tech

L’entrepreneuse tech Maëliza Seymour, experte en mathématiques appliquées, data scientist et codeuse, nous a accordé une interview. La deuxième d’une série de rencontres avec des femmes qui font la tech, que nous égrènerons au fil des mois et de nos rencontres.

« Tu es une femme et tu es noire, tu vas galérer ! » Alors qu’elle cherche à lever des fonds pour sa start-up, CodistAI, un investisseur fait « clairement » comprendre à Maëliza Seymour que son profil ne sera pas un atout dans la tech, encore moins dans la deeptech.
Pourtant, Maëliza a suivi le parcours parfait. Cette entrepreneuse passionnée a des facilités en maths, de bonnes notes, les bons diplômes… et la bonne idée. 

« Tant qu’on est en formation, tout va bien »

« J’ai découvert Excel à 5 ans », se rappelle-t-elle, amusée. Son père l’initie aux tableurs alors qu’elle est encore petite. Elle traficote les lignes, les colonnes, les fonctions. Elle est à l’aise avec les chiffres. « J’avais des facilités en maths de manière générale », résume aujourd’hui Maëliza, âgée de 28 ans.
« Il y a un problème, on trouve la solution, sans tergiverser. J’y trouve une forme de satisfaction personnelle ». Alors « naturellement », la jeune Guadeloupéenne décroche son Bac S et quitte son île natale pour la métropole. Elle se retrouve en prépa maths sup-maths spé à Paris au lycée Saint-Louis. Un tremplin avant de rentrer à l’école des Mines, à seulement 18 ans. Devenue ingénieure, elle double ensuite son master au Conservatoire national des arts et métiers en mathématiques appliquées. 

De ses années d’études, la « gadzart », comme on appelle les étudiants des « Arts et Métiers », elle garde un bon souvenir. « En prépa, comme j’étais dans en internat, il y avait de la mixité ethnique et culturelle », raconte-elle. Lorsqu’elle entre en école d’ingé, le sexisme ordinaire est plus prégnant mais elle n’en souffre pas outre-mesure. « Le corps enseignant était très averti et bienveillant concernant ces problématiques de diversité. »
Le racisme ne fait pas non plus partie de ses souvenirs. « Tant qu’on est en formation, tout va bien. » Mais, à l’entrée sur le marché du travail, « c’est une autre histoire ». 

« Le code, je détestais ça »

Dans le monde professionnel « masculin et blanc » où elle évolue, elle devient data scientist. Derrière l’anglicisme du métier, l’objectif est « de faire parler les données ».
Schématiquement, elle compile, analyse, structure les informations d’une entreprise pour comprendre les tendances et adapter sa stratégie. La data scientist doit imaginer de nouveaux modèles d’analyse pour traiter des données brutes et hétérogènes.
Mais finalement, Maëliza passe beaucoup plus de temps à chercher les données qu’à les traiter. Au fil de ses expériences professionnelles, le diagnostic se répète que ce soit à la BNP ou à la Société générale.

Entre deux missions en Thaïlande ou au Kenya, même si le boulot est prenant, la jeune femme a toujours cultivé une volonté d’entreprendre. Elle s’intéresse plus en détail au code « pur et dur ». « J’adorais les mathématiques, autant le code, je détestais ça », sourit-elle. Mais, elle s’accroche jusqu’à l’épiphanie : « Oh tiens, ce sont des maths appliquées au code ! » 

Entrepreneu(se) First

Forte de son expérience dans le privé, du constat des lacunes, de son ambition « d’associer les maths aux réalités terrains », Maëliza intègre en 2018 le programme de la Station F, Entrepreneur First, à Paris.
Elle rencontre Shubhadeep Roychowdhury, son acolyte pour la suite. « Avant le début du programme, on devait juste prendre un café pour se rencontrer, ça a finalement duré plus de trois heures. J’ai tout de suite su qu’on allait faire un truc ensemble ! », se souvient-elle. 

Capture d’écran Entrepreneur First – 2018 – Maëliza Seymour présente sa start-up CodistAI.

Lui, est ingénieur aussi. Il a développé le marché du jeu vidéo en Inde, terre de ses parents. À l’issue du programme Entrepreneur First, les deux lancent leur start-up, CodistAI.
L’idée part d’un constat : 60 % du temps des développeurs est dédié à la compréhension du fonctionnement de l’algorithme. Le temps de « création » est amputé. Une « aberration » selon eux. Ils créent alors un système qui permet de le comprendre automatiquement, réduisant la « galère » des développeurs.
Leur solution est ainsi capable de documenter directement l’algorithme en question et de se mettre automatiquement à jour. « Un gain de temps considérable. » Ils estiment pouvoir la vendre dès la rentrée prochaine. 

À peine 10 % de start-uppeuses en France

Depuis un an et trois mois, les deux entrepreneurs sillonnent les salons d’entreprises, enchaînent les rendez-vous, tentent de convaincre les investisseurs que leur solution intelligente peut révolutionner le domaine. Mais, la route est longue, et malgré leurs parcours scolaires et professionnels d’excellence, les remarques désobligeantes s’amoncèlent.
« On m’a déjà demandé si mon co-fondateur était un sous-traitant seulement du fait de son origine indienne ! », s’indigne-t-elle. 

Femmes@Numérique – Capture d’écran de l’infographie (et montage maison) des chiffres-clés issues du site officiel Femmes Numérique.

Plus on monte, plus on est « pro », plus les profils « se ressemblent ». Dans le monde des start-up, 90 % des sociétés sont dirigées par des hommes, dont la plupart sont « des jeunes parisiens blancs », observe Maëliza. Et seulement 2 % des fonds levés le sont par des femmes.
Le manque de diversité devient encore plus flagrant quand on couple ces chiffres à ceux du monde de la tech. Dans le secteur de l’intelligence artificielle, par exemple, seulement 12 % des travailleurs sont des femmes (hors des fonctions supports). Dans cette équation, Maëliza est une exception. 

À lire aussi : Pourquoi les femmes sont si peu nombreuses dans la tech ?

« Il faut mettre en avant les figures diversifiées »

« Maintenant que j’ai ma casquette de CEO, ça devient de plus en plus dur », s’agace celle qui croit au pouvoir des quotas et de la discriminations positive. Maëliza en est sûre, « il faut mettre en avant les figures diversifiées ».
Féministe convaincue et ambitieuse, elle plaide pour la mise en place de statistiques ethniques en France. « Pour se rendre compte de l’ampleur du problème, il faut pouvoir compter. »
Sa contribution à elle, c’est l’association dont elle est membre baptisée «Jeunesse Outre Mer», favorisant l’emploi des jeunes ultra-marins. Elle y donne « des conférences et webinars sur la tech et la data ».

Pourtant, Maëliza, elle, n’a pas eu de modèle. « Quand j’ai commencé, il y avait encore moins de femmes dans la tech qu’aujourd’hui, et il n’y avait pas de femmes noires », regrette la mathématicienne. « Je me suis faite par moi-même. On sait que la société est injuste. La question à se poser, c’est “Qu’est-ce que je veux ?” ». Un moteur « assez sain » qui l’a fait avancer à pas de géante. 

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Amélie Charnay et Marion Simon-Rainaud