En 2000, les jeunes de 20 ans passionnés d’informatique n’étaient pas des geeks. Nous étions bien pires que cela : nous étions des nerds. Perso, je me sentais au top du top de la technologie… avec mon écran 15 pouces Trinitron, un processeur à 500 MHz, 64 Mo de mémoire vive, une carte graphique 3DFX, une connexion Internet de fou (!) à 56 kbits/s, et un disque dur de 20 Go pour stocker toute la connaissance de l’humanité… ouais, c’était comme ça le must il y a 15 ans !
A la fin des années 90, j’avais déjà une dizaine d’années de traficotage de PC derrière moi, sans oublier les jeux vidéo, sous MS-DOS ou en réseau dans les premiers cybercafés… Les consoles ? Trop facile, trop geek justement, pas assez nerd ! Le PC, c’était la baguette magique qui nous donnait accès à des jeux vidéo hyper perfectionnés et à un vrai système d’exploitation pour surfer sur le nouvel eldorado virtuel… Internet ! Quant à Apple, le fabricant était encore anecdotique dans nos esprits. Les jolis iMac, c’étaient surtout pour travailler, et la firme californienne n’avait même pas encore sorti l’iPod, le baladeur qui allait changer à jamais son image.
Technicien de la bande (… mais être humain avant tout)
Tout le monde a profité d’un pote « qui s’y connaît en informatique ». Un type au style vestimentaire absent, premier de la classe ou presque, fayot de réputation, ne jurant que par les sciences dures. Ce pote, c’était moi. Entre mes multiples heures de révision de maths-physique-chimie (la Sainte-Trinité du nerd), je trafiquais ma calculatrice Ti-92 pour y installer… des jeux ! Je conseillais déjà les achats techno des amis, puis montait et démontait leur PC.
C’était un rôle presque humanitaire à partir de ma hotline : un Motorola StarTAC « trop classe » dont je n’arrivais pas à me séparer. J’allais jusqu’à rassurer les pères en panique devant leur écran bleu, sauvant du même coup leur fils présumé coupable : « C’est à cause de tes satanés jeux vidéo ! ».
On me surnommait « Bruno SX », on me parlait du bug de l’an 2000, ces PC qui allaient provoquer la fin du monde pour deux chiffres non prévus dans leur BIOS. Les ascenseurs bloqués, les centrales nucléaires en surchauffe, etc. J’étais supposé en savoir plus… Pas trop, en fait.
Je préférais parler de Matrix, un film salvateur pour les geeks et leur réputation : le nerd lunetteux devenait subitement un « hacker » ultra-sexy, spécialiste des arts martiaux, et surtout capable de communiquer directement avec « la machine ». Quelle promotion !
La réalité était beaucoup moins glamour : les mains dans mon boîtier d’ordinateur, à parfaire la ventilation, tenter toutes les combinaisons possibles. Overclocker les processeurs, en cramer quelques-uns… Ou l’épisode dramatique de cet AMD K6-III+ acheté en import aux USA, qui aura tenu quelques jours à 650 MHz (un record !) avant de partir en fumée.
Difficile de savoir ce qui fut le plus insupportable : faire le deuil de ce très rare processeur, ou ne plus pouvoir allumer mon ordinateur en attendant son remplacement !
There will be bits : pirate boulimique sur Internet
En ce temps là, utiliser son PC, c’était encore une bataille. Il fallait traiter Windows 98 avec le plus grand respect pour ne pas qu’il nous fasse une peur bleue, et gérer Windows Millenimum avec distance (c’est-à-dire ne jamais l’installer). Un an après, Windows XP fut reçu comme un Graal par les passionnés.
Tous les vétérans du Net se souviennent de cette douce mélodie de connexion : mon modem USRobotics Sporster 56K m’ouvrait alors toutes les portes du Web. Seule la vidéo en ligne était encore hors de portée, notamment car il fallait s’infliger le logiciel Real Player pour en profiter. Imaginez plutôt : ce lecteur Web a fait passer Flash pour un miracle de performances et de légèreté !
En 2000, Internet était encore une vaste plaine ne demandant qu’à être labourée. Le Web 2.0 n’est arrivé que cinq, voire sept ans plus tard. A l’époque, les sites Web avaient l’esthétique d’une berline soviétique des années 70, et les images ne s’y dévoilaient qu’en prenant bien leur temps, de haut en bas.
Mes principales activités consistaient à sillonner les forums français et américains pour les jeux vidéo et l’overclocking, les petites annonces, les emails. Sans oublier, l’un des sites d’info incontournables, pionnier du genre en France : Hardware.fr (et son forum). 01net.com, lui, a fait son apparition sur la Toile en avril 2000, un millénaire qui démarra finalement sans aucun bug.
Alors, on faisait quoi d’autre sur Internet à l’époque ? On piratait ! Nous étions tous Neo, en version franchouillarde : 36 heures pour récupérer l’intégrale de Gainsbourg en MP3 ! eMule n’existait pas encore, il fallait se contenter de Napster. Les jeux vidéo n’étaient pas épargnés, mais les films étaient trop lourds. Et comme copier des CD de musique, c’était déjà trop simple, trop ringard, je m’étais donc spécialisé dans la copie de DVD. Mon loueur de DVD m’a-do-rait car j’étais son plus fidèle habitué ! Je venais plusieurs fois par semaine louer un film… dont aucun ne revenait sans avoir été préalablement re-compressé, et gravé sur un CD de 700 Mo. A l’époque, pas de VoD ni de Netflix pour sauver mon âme, ni de réseaux sociaux pour me divertir autrement.
Armé d’une pile de CD vierges à côté de ma tour de PC, tout y passait. Et avec la qualité maximale : je m’étais spécialisé dans la méthode d’encodage vidéo la plus lente et compliquée (en DivX 3.11 SBC avec Nandub, le codec était lui-même piraté !). Plusieurs dizaines de films furent archivés… La moitié a disparu dans un dégât des eaux, l’autre moitié a finalement été remplacée par de la HD. Car cet encodage en DivX 3.11, qui paraissait parfait à l’époque, est aujourd’hui une torture visuelle. La compression vidéo est l’une des disciplines pour laquelle les algorithmes ont le plus progressé depuis 2000.
Attention, je n’étais pas (encore) un vrai « no-life ». Avec mes copains nerds, nous sortions souvent… pour aller à la Tête dans les Nuages, la salle de jeux « la plus classe de la ville ». Quelques kilos de pièces de 5 Francs furent engloutis par notre borne d’arcade préférée : Street Fighter III Third Strike.
Fasciné par les jeux en 3D, piégé par les jeux en réseau
Ce sont les jeux vidéo qui ont fait de moi un nerd, dès l’âge de 10 ans. Après avoir torturé un Atari 520 STE, on rêve de passer aux PC. Il fallait overclocker des composants moins chers pour jouer avec les performances d’un PC haut de gamme, et éviter les bugs. Voilà comment se sont forgées les connaissances techniques des nerds de ma génération. Les autres, moins techniques (et donc plus geeks), se contentaient d’apprécier le résultat, et optaient souvent pour les consoles de jeu, plus simples à utiliser, et beaucoup plus efficaces pour faire du sport (Pro Evolution Soccer).
En 2000, l’ère de la 3D avait déjà bien commencée. Elle était accélérée directement par des processeurs graphiques. Ce fut la seconde grande révolution du jeu vidéo, après l’apparition du support sur CD-ROM. Les premières cartes graphiques 3D étaient déjà à l’agonie : 3DFX et S3 allaient disparaître au profit d’une guerre, qui dure encore, entre Nvidia et ATI (aujourd’hui AMD). Les pilotes graphiques Nvidia s’appelaient encore « Detonator », et quelques prestigieuses marques de composants existaient encore, comme Abit, ou Epox… L’arrivée de la première Xbox en 2001 fut ressentie comme une victoire : c’était un PC !
Les FPS (jeux de tir à la première personne) étaient les stars du moment. Quake a laissé sa place au mythique Half Life, puis à l’incroyable Deus Ex, sans oublier Counter Strike. Les jeux de tirs en réseau avaient déjà beaucoup de succès alors que l’ADSL n’existait pas. Je passais alors beaucoup de temps à réduire le ping de mon modem RTC, et surtout à nettoyer à la pince à épiler ces petites bandelettes de poussière crasseuse accumulée sur la boule de ma souris mécanique !
Deux ans après, j’étais devenu une petite star du massacre en réseau dans Medal of Honor : Allied Offensive. Ce jeu nous a fait vivre le débarquement du 6 juin, et c’est surtout l’ancêtre de la franchise qui a explosé tous les records de vente aujourd’hui : Call of Duty !
Je n’avais encore rien vu. En 2000, j’étais loin d’imaginer mon futur traumatisme vidéoludique : la sortie, quatre ans plus tard, du MMORPG World of Warcraft… Mais ça, c’est une autre histoire !
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