Le cinéma est peut-être à l’aube d’une révolution technique et c’est un outsider, Lytro, qui ouvre la voie avec la Lytro Cinema. La caméra qu’il vient de présenter est hors du commun. Et – sur le papier – un monstre technique équipée d’un capteur 8K qui produirait des images de 755 Mpix, qui profiterait d’une plage dynamique de 16 diaphs (stops) et offrirait un débit de trames allant jusqu’à 300 images par secondes. Excusez du peu.
Des spécifications qui donnent le tournis et suscitent un doute légitime : la 8K (soit 33 Mpix) n’est pas encore généralisée, alors comment Lytro peut bien sortir une caméra de 755 Mpix ?
Dans un référentiel classique, une telle caméra semble impossible… mais l’entreprise à l’origine de son développement a déjà montré son savoir-faire sur l’image fixe par le biais d’une technologie appelée “matrice plénoptique”.
Technologie plénoptique
Avant de détailler ce que la Lytro Camera peut (théoriquement) apporter au monde de la vidéo, il faut déjà comprendre comment fonctionne un appareil plénoptique (light-field camera en anglais). Au lieu d’enregistrer une image en deux dimensions de manière classique, ces engins disposent d’une matrice de microlentilles qui vient se placer devant le capteur et qui enregistre, outre l’intensité lumineuse, la direction des rayons de lumière. En analysant les données lumineuses récoltées par la matrice, l’appareil peut déterminer avec une très grande précision la distance exacte de l’information récoltée par chaque pixel.
Le bénéfice ? Plus besoin d’attendre la mise au point ou de se soucier de l’ouverture du diaphragme, ces choix se font à postériori : dès qu’on presse le déclencheur, on enregistre une instantanément une scène et on détermine plus tard la profondeur de champ et la zone de netteté. C’est cette souplesse – et d’autres avantages – que Lytro affirme avoir conféré à sa caméra de cinéma.
Promesse technologique énorme
La Lytro Camera affiche, sur le papier, des spécifications d’un autre univers : elle enregistrerait un flux vidéo jusqu’à 300 images par seconde, des images dont chacune pèserait l’équivalent d’un cliché de 755 Mpix en RAW ! En réalité, la Lytro Cinema est une caméra qui produira des séquences vidéo 8K – ce qui est déjà très bien – mais dont la matrice plénoptique permettrait, comme dans la photo, de faire le point et la netteté à postériori mais aussi de faire varier débit de trame et angle d’obturation. Le calcul de 755 Mpix correspond en fait à un équivalent d’environ 23 zones de netteté différentes à ouverture fixe.
Avec de telles informations, un opérateur passe d’un rendu cinéma classique de 24 i/s à un ralenti à 300 i/s en bougeant de simples curseurs dans un logiciel de montage. Plus fort encore, l’enregistrement de toutes ces données de lumière – et de distance – aux sujets permettrait à la Lytro Camera de donner à un logiciel de compositing toutes les informations de distance et de couleurs nécessaires à l’intégration d’effets spéciaux 3D sans avoir recours à un fond vert (voir vidéo ci-dessus).
Une caméra et ses serveurs
Aucune carte mémoire ne peut enregistrer les débits d’informations promis par la Lytro Camera, qui peuvent monter jusqu’à 400 Go/s ! C’est pourquoi Lytro ne propose donc pas qu’une simple caméra vidéo mais un service complet avec captation et enregistrement sur des serveurs équipés de grappes de disques durs ultra-rapides en RAID directement reliées à la caméra pour le stockage et l’interprétation (montage, export).
Avec en parallèle, exigences des services d’assurances du cinéma et de la pub obligent, un envoi dans un cloud sécurisé professionnel…
Cinéma et publicités
Le monde du cinéma est un domaine créatif où les couleurs, effets optiques, etc. font bien souvent partie d’une vision d’un réalisateur et de son équipe. La Lytro Camera pourrait tout à fait avoir sa place dans des films à gros budgets garnis d’effets spéciaux ou pour des scènes de films où 3D et incrustation sont nécessaires (remake des scènes historiques dans Forrest Gump par exemple) mais ne colle pas tant que cela aux besoins (et désirs) de réalisateurs de films plus traditionnels.
Dans le domaine des tournages de clips publicitaires en revanche, où les équipes travaillent 16h par jour sur une période très ramassée pour réussir une séquence de 30s, la Lytro Camera permettrait d’alléger la taille des équipes et de diminuer la durée de tournage puisque toute l’information temporelle est “dans la boîte”, évitant les mille reprises obligatoires pour avoir “le moment”, la scène parfaite.
Transformer un échec en réussite
Lytro a déjà commercialisé deux appareils photo, le Lytro original et l’Illum. S’ils étaient techniquement tout à fait fonctionnels, le succès commercial auprès du grand public n’a pas eu lieu et ce pour diverses raisons – l’exploitation des photos requiert un traitement à postériori, le seul modèle doté d’un zoom et d’une bonne définition (Lytro Illum) était cher, la concurrence dans le domaine de la photo est dure, le marché de la photo est assez conservateur, la distribution était difficile, etc.
Cet échec commercial a conduit Lytro à chercher d’autres débouchés et, après avoir trouvé un moyen de maîtriser la technologie sur un flux vidéo, son PD-G a annoncé un virage vers la réalité virtuelle et la vidéo professionnelle.
Il reste désormais à attendre les premiers retours sur expérience des réalisateurs intéressés par l’utilisation d’une telle caméra. Mais quand bien même Lytro tienne sa promesse, la marque américaine a intérêt de mettre les bouchées doubles : Panasonic a déjà commencé à déposer des brevets équivalents a sa technologie plénoptique, et la marque nippone est déjà un mastodonte de la production vidéo.
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