“J’ai fait mon temps chez IBM. Cette expérience aura été d’un prix inouï. Elle m’a permis d’apprendre davantage, bien davantage, que tout ce que j’avais pu espérer.” Avec ces quelques mots d’adieu, immortalisés dans le rapport annuel 2001 d’IBM, Lou Gerstner met un point final à un parcours de presque dix ans passé aux commandes du géant de l’informatique. Et quel parcours !“Il est arrivé le 1er avril 1993, mais je peux vous dire que ce n’était pas une blague”, raconte Lee Green, son collaborateur et ami. “À l’époque, peu de gens le connaissaient. Je l’ai vu arriver. Depuis, nous avons toujours travaillé en bonne intelligence.” Pourtant, lorsqu’il franchit pour la première fois la porte du campus d’Armonk, Lou Gerstner est accueilli avec une condescendance mêlée d’incrédulité. Ne vient-il pas directement de chez un biscuitier, quelque chose comme RJR Nabisco ? Un peu court pour un groupe comme IBM, moribond et arrogant, aussi bardé de certitudes qu’inaccessible au doute.De fait, le nouveau venu a de quoi dérouter. Il écoute, apprend, mais se livre très peu. Avec ses employés comme avec ses interlocuteurs, il se montre aussi discret qu’exigeant. Un collaborateur se souvient que, plutôt que de recourir aux sempiternelles présentations de “transparents” pour étayer un projet en réunion, le nouvel arrivant préfère les discussions en tête-à-tête avec son interlocuteur.“Si vous plaidiez pour un projet, il fallait le chiffrer, et le réaliser en temps et heure”, se souvient un dirigeant de l’époque. “Ce n’était pas du marketing. Il y avait obligation de résultat.” Autre caractéristique du président de l’époque, son aversion pour l’exposition médiatique. Le bonhomme n’est pas très avenant. “Sauf quand il allait sur le terrain. Là, il était très chaleureux. En 1994, je lui ai présenté un client, et nous sommes allés dans son bureau. Il a passé une heure à l’écouter, à lui poser des questions sur son business. Il avait l’air très intéressé. Gerstner, il aime les gens [les clients, ndlr]”.Aujourd’hui, la figure mythique d’IBM entre définitivement, et par la grande porte, dans l’histoire économique de la fin du XXe siècle. Mais ce n’est peut-être pas comme businessman qu’il laissera son empreinte. L’homme n’est ni Jack Welsh, le cow-boy de General Electric, ni Steve Ballmer, le vif-argent à la tête de Microsoft. Même pour ses proches, c’est une énigme vivante, un mystère fait homme. Une ombre familière s’éloigne… et c’est celle d’un inconnu. Tout ce que l’on sait de lui tient dans son image de père fouettard tranquille et dans cette phrase d’adieu laissée dans le rapport annuel. En quelques années, il a arraché à l’engourdissement qui précède la mort une firme en pleine déshérence ?”IBM?” pour lui redonner son rang. Le premier.
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