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L’orgasme de l’organigramme

De start-up en holdings, journal de bord d’un cadre de la nouvelle économie. Il se confie sous pseudo pour parler?” et parfois crier ?” plus librement…

Au supermarché, vous intéresseriez-vous à un produit sans étiquette ? Non, bien sûr : même si la banane géante est pleine de promesses et la pomme juteuse, l’absence de toute estampille vous décourage. Vous préférerez la banale banane et la pomme bien sèche, mais dûment étiquetées. Ce point étant acquis, considérons Roland et Charlotte, respectivement PDG et directrice générale adjointe de notre groupe ?” où, soit dit en passant, je tiens trop souvent le rôle de la poire. Roland, lui, en tant que grand chef véhiculant l’image phallique du père, est à tout point de vue la banane (géante, d’après ses collaboratrices), et Charlotte la pomme (juteuse, selon Roland). Mais du point de vue purement kantien de l’“en soi”, les qualités intrinsèques de ces deux archétypes (in) humains ne sont rien ! Ce qui compte, ce n’est pas leur discutable talent, mais l’étiquette qui le mentionne et l’authentifie : leur titre. Oui, le machin inscrit en face de leur nom dans l’organigramme. Le truc affiché sur la porte de leur bureau. Leur titre, qui finit par leur donner les qualités qu’ils n’ont pas.Conséquence ? La valse des étiquettes ! Roland vient de nommer Romont directeur général adjoint. Oui, vous avez bien lu : Charlotte n’est plus la seule numéro 2 de la boîte, régnant et se pavanant dans l’espace immense laissé par la paresse de notre numéro 1. Roland, qui ne s’intéresse qu’à ses cocktails et à ses interviews-télé longuement préparées devant la glace de nos toilettes, s’inquiétait du champ libre laissé à Charlotte : elle s’y vautre en toute impudeur, sans mettre le moindre cache-sexe à son ambition, ni au reste d’ailleurs…Bref, la voilà affublée de ce gros kyste de Romont, spécimen porcin tendance arriviste, un agité du sabot étiqueté jusqu’ici directeur des activités stratégiques. Cette tache se voit promue numéro 2 ex æquo, avec en prime un bureau contigu à celui de Charlotte, et comptant, par hasard, 1,5 mètre carré de plus, ce qui fit déborder le vase. Ce mètre carré et demi, que Charlotte a fait mesurer nuitamment par le gars du service technique (son esclave fou de désir, qu’elle allume en permanence sans jamais l’éteindre), l’a plongée dans une rage assassine. Hier, lors d’un monologue en tête-à-tête avec moi, elle s’est lâchée en traitant Roland de “pédé” (sic), ayant réussi à la force du poignet […]. Elle ne conçoit pas qu’il puisse en être autrement pour Romont, dont l’hétérosexualité galopante est pourtant de notoriété publique …
Quant à Roland, qui lui donne régulièrement la preuve du contraire, elle lui attribue une sexualité à voile et à moteur dont elle refuse dorénavant de tenir la barre. “Qu’il aille se faire foutre par qui tu sais !”, explose-t-elle en louchant vers le bureau de Romont. Mais je ne l’écoute plus : je pense à ces deux directeurs généraux ADJOINTS, qui ne sont que numéro 3, puisque Roland a vicieusement laissé vacant le poste de DG, craignant que ces deux monstres soient trop proches de lui dans l’organigramme. Quant à moi qui ne suis que numéro 4, mais pas un monstre, je ne peux me fixer que des buts raisonnables et pacifiques : ramper discrètement vers ce fauteuil de vice-roi, pendant que sétripent les princes…

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La rédaction