La lecture de livres numériques décolle enfin en France. Elle a même triplé en 2012. Un chiffre qui masque une réalité plus contrastée. Le marché peine à se développer en raison de nombreux freins culturels, commerciaux et techniques. C’est ce que révèle l’étude Pratiques de lecture et d’achat de livres numériques réalisée par Le MOTif (Observatoire du livre et de l’écrit de la Région Ile de France) et le médialab de Sciences Po. Rencontre avec Serge Guérin, sociologue et président du MOTIF.
01net : Quel est le profil des lecteurs d’e Books ?
Serge Guérin : C’est un public de gros lecteurs (plus de 4 livres par mois), plutôt aisé (CSP+) et d’âge mûr (plus de 40 ans en moyenne). Les jeunes ne sont pas très représentés pour deux raisons. Le problème du coût : il faut avoir les moyens de s’équiper et l’envie d’y consacrer de l’argent. Or, ils lisent moins que leurs aînés. Le public des lecteurs en général est vieillissant.
Quels sont les griefs des usagers de ces livres numériques ?
S.G. : Le prix : à 83%, ils trouvent les livres numériques trop chers. Ensuite, ils rencontrent des problèmes techniques. Comment conserver un livre numérique ? Comment le faire passer à d’autres ? Les formats sont-ils compatibles ? Et il y a les questions de la sécurité et de la liberté. Est-ce qu’on peut savoir ce que je lis ? Est-ce que je vais devenir prisonnier d’une plate-forme ? Les lecteurs se sentent à ce sujet pieds et mains liés commercialement. Ce qui est en contradiction totale avec notre imaginaire qui fait du livre l’expression même de la liberté. Enfin, il y a un sentiment paradoxal des usagers concernant l’offre. Ils ont l’illusion d’avoir accès à une bibliothèque pléthorique. « J’ai accès à 16 000 livres, c’est formidable », même si personne ne peut lire 16 000 livres dans les faits. Et il y a une déception concernant la richesse des contenus. Les versions numériques ne sont la plupart du temps qu’une simple réplique des livres papiers sans liens hypertextes, sans enrichissement visuel. L’offre est encore maigre parce que le marché est trop petit.
Pourquoi le marché français est-il si faible par rapport aux Etats-Unis ?
S.G. : Le rapport culturel au livre est beaucoup plus fort dans la vieille Europe, en particulier en France. La valeur symbolique d’un livre numérique est moindre que celle d’un livre papier pour les auteurs et les lecteurs. Et aux Etats-Unis, les libraires n’existent quasiment plus. Il y a un vrai désert culturel. En France, on compte encore 10 000 libraires grâce à la loi Lang sur le prix unique du livre. Et cette formidable présence représente probablement un frein pour inciter les lecteurs à passer au numérique.
Ces lecteurs continuent-ils d’acheter des livres papiers ?
S.G. : La logique est celle d’une complémentarité plutôt que d’un abandon. A chaque fois qu’il y a une innovation technologique, on annonce la fin d’un média. Mais la radio et la télévision sont toujours là. Et le livre ne disparaîtra pas non plus. Ce sont les usages qui changent. Les lecteurs peuvent télécharger illégalement un livre numérique, acheter le livre papier parce ce qu’il leur a plu sur une plate-forme web et continuer, dans le même temps, à fréquenter physiquement des librairies. En règle générale, on va plutôt privilégier les formats numériques pour des ouvrages auxquels on porte peu d’attachement. Pour le moment, le livre papier se retrouve finalement extrêmement valorisé : plus sûr, plus simple, plus confortable. Quand vous entrez dans une librairie, vous achetez en toute liberté une œuvre sans vous engager auprès de l’éditeur et ensuite vous n’avez plus qu’à l’ouvrir…
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