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L’informatique n’est pas un humanisme

L’après-11 septembre voit se multiplier les déclarations fort opportunistes. Inratables, celles des entreprises informatiques, peu soucieuses des conséquences de leurs propositions.

Le techno-enthousiaste que je reste a des raisons multiples de déchanter au quotidien (et je ne vous parle même pas des démangeaisons que me provoquent les innombrables promotions Harry Potter dans la rue, dans les
magazines, sur les pots de yaourt, sur le Web. J’en viens à me méfier, je vais peut-être en retrouver une au fond de mon lit en allant me coucher ce soir).Parmi les conséquences du 11 septembre, il en est de ridiculement opportunistes. La surenchère des entreprises technologiques à exploiter le créneau sécuritaire soudain paré de toutes les vertus (en voilà un qui pourrait bien nous
relancer la croissance, beurk) me hérisse le poil.Ainsi, lorsque Larry Ellison, le fantasque patron de l’éditeur
Oracle, fait don de ses logiciels au gouvernement américain pour que ce dernier crée une base de données destinée à améliorer la sécurité nationale. Il s’empresse,
bien entendu, de préciser que l’utilisation qui sera faite de ses produits ne le concerne pas, mais suggère dans le même temps la constitution d’un fichier destiné à vérifier l’identité des voyageurs aériens (non, non, il a dit ça au hasard, et puis
il s’en fout, il a un jet privé).Reprenant un de ses vieux credo, il signale aussi que les bases dispersées des différentes agences gouvernementales gagneraient à être consolidées dans une base unique. L’argument a sans doute des fondements techniques convaincants.
Mais le moins qu’on puisse dire est qu’il peut heurter les sensibilités des défenseurs des libertés individuelles, peu empressés de voir l’Etat doté d’un outil de flicage centralisé.Imaginez que les fichiers de la sécurité sociale fusionnés avec ceux des impôts, de la police, des cartes grises et des infractions bancaires ? La police vous arrête au volant pour un contrôle antipollution, consulte ce fichier
archicentralisé, se rend compte que vous n’avez pas payé une contravention précédente, refuse le chèque que vous proposez pour régler la situation sous prétexte que vous n’êtes pas solvable, se rend compte que vous êtes en arrêt de travail pour une
sciatique carabinée et pas du tout supposé conduire votre véhicule… véhicule bien trop luxueux pour quelqu’un qui déclare si peu de revenus aux impôts. De quoi se retrouver au tribunal en moins de deux.Bien entendu, si Monsieur Ellison offre le logiciel, il n’offre ni la maintenance ni la mise à jour, qui resteront facturées (donc à la charge du contribuable, si vous avez bien suivi, contribuable qui n’a toujours pas son mot à dire).
Quel philanthrope ce Larry !Plus nuancé, l’éditeur
Peregrine (faucon pèlerin… j’aurais pensé à un oiseau moins sympathique) vient de mettre au point un logiciel de gestion de crise. Le but est, évidemment, d’aider les
agences gouvernementales et les entreprises à faire face aux situations difficiles “depuis les catastrophes naturelles jusqu’aux attaques terroristes “. Comme l’a déclaré Steve Gardner, le PDG de Peregrine,
“mettre ce produit sur le marché aujourd’hui est pour nous une façon de faire quelque chose pour le pays”. Vraiment ? On aurait pourtant juré que ça s’appelle souffler dans le sens du vent.Je vous passe les autres exemples, ils sont légion. Ils n’inventent rien, je veux dire que leur démarche opportuniste est vieille comme le monde. Mais il y a une façon de se mettre en avant, genre bon garçon bien serviable (après tout
rien ne leur interdit de répondre à des demandes sans tendre la perche en lançant une gamme de produits ” Spécial après-11 septembre “), d’anticiper et du même coup de donner des idées douteuses aux Etats que je trouve choquantes. Les
entreprises informatiques ne sont ni nos élus, ni des citoyens, seulement des fabricants de produits. A ce titre, il serait bon quelles cessent de se croire en mesure de décider à notre place de la société dans laquelle nous devons vivre.Prochaine chronique jeudi 20 décembre 2001

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Renaud Bonnet