Bonne surprise en période de crise : la première édition du palmarès des plus fortes croissances européennes organisé par Deloitte & Touche fait la part belle aux entreprises françaises. Elles sont, en effet, quatre-vingt-dix-sept lauréates de cet European Technology Fast 500. Parmi elles, on relève près d’une trentaine d’éditeurs de logiciels, dont Netquartz, première entreprise française du classement. Ce résultat témoigne de la vitalité d’un secteur pour lequel la France est pourtant peu réputée. En effet, comment expliquer la différence entre ce foisonnement d’éditeurs français et des réussites internationales qui se comptent sur les doigts d’une main ?L’une des origines de ce hiatus est peut-être à chercher dans le contenu des formations supérieures. Tant dans les écoles d’ingénieurs que dans celles de commerce, on développe peu la fibre entrepreneuriale des étudiants. Quant aux doubles compétences, qui permettraient de mener une telle activité de haute technologie dans un environnement extrêmement concurrentiel, elles restent un v?”u pieux. “Les étudiants en management et gestion et ceux qui suivent un cursus technique ne se rencontrent pas, regrette Laurent Kott, délégué général au transfert technologique à l’Inria. Alors que, aux Etats-Unis, il n’est pas rare pour un technicien de faire un MBA dans la foulée.” Il n’est donc pas étonnant de voir les créateurs de jeunes pousses se concentrer sur la technologie de leurs produits, au détriment de leur positionnement commercial. “Nous essayons pourtant de leur faire comprendre que la communication et le marketing sont deux aspects essentiels de la réussite d’une entreprise”, explique Laurent Kott. Bernard Liautaud, PDG et cofondateur de Business Objects, estime, par exemple, que vouloir s’implanter aux Etats-Unis sans une forte coloration marketing est voué à l’échec. Et l’éditeur avait préféré faire appel à des Américains pour développer sa politique marketing.Symptôme d’une industrie encore jeune, on n’y trouve pas encore la culture du dialogue entre le marketing et la recherche et développement, qui peut exister dans des secteurs historiques comme l’automobile ou l’agroalimentaire. “L’un des facteurs de la réussite des éditeurs est l’adhésion de l’ensemble de l’entreprise au produit, assure Elie Curetti, chef de projet au Business Technology Office chez McKinsey. Cela passe en particulier par le charisme et la vision des dirigeants, ainsi que par leur management au quotidien.” L’industrie du jeu vidéo, où la France est particulièrement en pointe, démontre, a contrario, l’efficacité des informaticiens français lorsqu’ils ont un attachement fort au produit et une vision claire de leur contribution. Nécessaire pour démarrer, cette culture d’entreprise est surtout vitale pour grossir sans se perdre. “Passer de quinze personnes à mille : là réside la complexité”, souligne Bernard Liautaud.C’est dans cette phase de forte croissance que le rôle du conseil d’administration peut s’avérer décisif. La réussite d’un éditeur ne tient pas uniquement à la vision de ses fondateurs ou à la qualité de ses équipes. Elle passe aussi par une parfaite connaissance du métier d’éditeur. “N’oublions pas que le logiciel est une industrie”, rappelle Alexandre Dayon, PDG d’Instranet, éditeur français d’outils de conception de “content warehouse” (datawarehouse appliqué aux données non structurées). La parenthèse des folles années internet 1998-2000 refermée, les règles classiques s’appliquent de nouveau. Or, les entrepreneurs n’ont que rarement l’expertise pour les mettre en ?”uvre. C’est là que peut ?” et doit ?” intervenir un comité d’administration expérimenté et impliqué dans la vie de l’entreprise. Instranet explique ainsi une partie de sa réussite par la présence à son “board” de personnalités historiques du monde du logiciel, comme Don Lucas ou Barry Ariko. Même s’ils ne jouent aucun rôle opérationnel, leur expertise rejaillit dans le fonctionnement quotidien. Leurs dizaines d’années d’expérience aident, par exemple, à sélectionner le bon modèle de tarification, celui qui assurera la rentabilité de la société.
Le marché américain est un vrai tremplin
L’importance des administrateurs se manifeste de manière encore plus claire en ce qui concerne le recrutement. Leur prestige crédibilise la société et favorise l’arrivée de hauts dirigeants. Les réseaux d’information qu’ils entretiennent permettent, en outre, d’obtenir en quelques heures des informations sur des candidats. “Le board nous fait gagner du temps et de l’argent”, résume Alexandre Dayon. En revanche, leur contribution au chiffre d’affaires est jugée marginale. Contrairement aux partenaires techniques, ils n’agissent pas en apporteurs d’affaires. Le conseil d’administration n’en demeure pas moins un rouage essentiel de la réussite. Toutefois, il nécessite des membres aguerris et reconnus, d’autant plus difficiles à mobiliser que l’expérience est rare et peu partagée.L’importance du comité d’administration ne diminue en rien le rôle de l’équipe de direction. Chargée de l’exécution, elle est tenue d’être au plus près du terrain, c’est-à-dire de ses clients. Pour un éditeur français à vocation internationale, cela veut souvent dire engager un président américain, comme l’a fait Solsoft, ou s’installer outre-Atlantique ?” ce qu’ont choisi Business Objects et Instranet. Le marché américain s’avère, en effet, le tremplin indispensable de la réussite internationale. Moins fragmenté que le marché européen, il est plus facile et surtout plus rapide de s’y implanter. En outre, la culture locale est plus favorable aux jeunes entreprises en quête de leurs premiers clients. Ceux-ci constituent, en effet, leur carte de visite commerciale, leur meilleur atout, à la fois gage de leur pérennité et de la qualité de leurs produits.
Des utilisateurs français trop frileux
Un premier projet va aussi permettre d’affiner le logiciel et son adéquation aux besoins. Mieux : les progiciels sont souvent une version packagée d’un travail spécifique, réalisé pour le compte d’une entreprise dans le cadre d’un partenariat. C’est, par exemple, le cas de Solsoft, qui s’est créé en développant une interface graphique sur un moteur de configuration, conçu pour un grand compte automobile français.La prise de risque de cet industriel n’est malheureusement pas la règle. Et les jeunes éditeurs français ont souvent bien du mal à convaincre les entreprises de leur faire confiance. “Pendant les six premiers mois de notre activité, nous n’avons récolté que trois clients. Et les intégrateurs que nous avons essayé d’activer nous demandaient déjà cinq ou dix références”, se souvient Alain Dumas, PDG de l’éditeur d’outils d’extraction de données Sunopsis. Laurent Kott estime, lui, qu’il y a en France un “manque d’appétence” pour l’innovation technologique. Et que, par conséquent, il est difficile de trouver une entreprise prête à monter un projet pilote. Elie Curetti avance une autre explication : “En France, il y a peu de culture du progiciel, car les entreprises préfèrent du sur-mesure. Elles estiment que leurs besoins sont uniques et qu’un progiciel ne peut les satisfaire.” Et si Bernard Liautaud tempère ces jugements sur la frilosité des entreprises françaises, il reconnaît qu’elles “n’ont pas l’habitude d’acheter du logiciel français”.Comme les manques de la formation ou l’insuffisance de dirigeants expérimentés, ce dernier obstacle est avant tout culturel. Le développement de l’édition de logiciels n’est donc guère facilité, alors que ce secteur nécessiterait justement plus d’expérience et de reconnaissance. Prise dans ce qui apparaît comme un cercle vicieux, l’industrie du logiciel en France s’en remet à la réussite de quelques francs-tireurs, souvent partis très tôt s’exiler, ou à celle ?” plus modeste, mais pas moins estimable ?” de PME technologiques qui exploitent avec sagesse le créneau local qu’elles ont su investir.
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.