” Après le décès par empoisonnement de son président, Tropico, petite île paradisiaque sud-américaine, a trouvé un nouveau dictateur : vous. “ Je tombe sur cette proposition alléchante, autant que
déroutante, dans un magazine informatique. Mais de quoi s’agit-il ? D’une campagne de recrutement pour l’ENA, une école de cadres d’un parti ou, plus simplement, un de ces MBA (Master of Business Administration) où se forment
nos modernes maîtres du monde ?Je continue ma lecture : ” Vous voici donc seigneur d’une petite province, à la tête de votre château fort, avec, pour seule ambition, celle de voir vos terres prospérer. “Changement de décor, du
quidam promu dictateur, je passe au despote héréditaire. Préoccupé d’agriculture ? Non, il s’agit de jeux de stratégie.Si je fais le compte, des quatre jeux décrits dans la page, deux me proposent le rôle du seigneur moyenâgeux, un autre le poste de démiurge bâtisseur de civilisation et le dernier, donc, celui de dictateur. Dans la série des xxx.tycoon,
l’objectif est de devenir un nabab du rail, du BTP, du transport maritime, des zoos, des parcs de loisir (il manque la télévision, l’épicerie, la prostitution, le détournement de fonds, le contrôle de gestion…). Dans tous les cas, il faut être un
brillant dirigeant, aussi solitaire que tout-puissant.La stratégie, telle qu’envisagée à travers ces jeux, est largement assimilée à l’exercice d’un pouvoir contraignant1, impérialisme grand siècle ou ultralibéralisme inoxydable. C’est un exercice de maîtrise, sans
aucun doute, qui oblige à un effort intellectuel. Mais ses finalités sont stéréotypées : extension du pouvoir personnel, manipulation d’individus pantins, objectivation du savoir considéré comme un instrument, exploitation systématique des
ressources naturelles et humaines à des fins d’expansion, aspiration à la destruction ou à la soumission de l’adversaire et, bien entendu, à l’accumulation des biens et des richesses.On ne s’encombre pas de conscience ni du moindre réalisme relationnel, pourvu que la machine tourne. Et malheur aux faibles.Comme me disait un ami pris dans sa partie : ” Ces travailleurs, là, je les tue. Ça me coûte moins cher de les sacrifier que de les nourrir le temps de les amener jusqu’à un autre lieu de travail. “
Certes. Mais tout de même, ça dessine un monde un peu simpliste. Je veux dire que, par exemple, il n’oserait pas proposer ça dans une réunion de direction (c’est un ami qui participe à des réunions de direction), même pour rire.Cela étant, ma critique n’est pas un blâme. D’abord parce que, exercés en réseau, ces jeux laissent place à des formes de stratégies plus évoluées : la collaboration, les alliances, le dialogue, la résistance des caractères ; même si
les exécutants restent de pauvres simulacres. Ensuite, parce que leur monomanie actuelle provient de leur imperfection. Mais gageons que les éditeurs ne vont pas manquer de développer de nouveaux thèmes. Pour les aider dans cette tâche, voici
quelques modestes propositions, libres de droits.ONG Tycoon. Vous êtes mandaté par une organisation non gouvernementale pour venir en aide aux habitants d’un pays ravagé par la guerre civile, la famine et la pauvreté. Vous devrez faire preuve de patience, de diplomatie et, parfois,
vous éloigner de la légalité pour collecter des fonds. Une fois sur place, votre réussite dépendra du nombre de morts que vous parviendrez à éviter en acheminant l’aide alimentaire (attention ! police, armée et pillards vont vous rançonner), en
montant des hôpitaux de campagne près du front et en servant de médiateurs dans les conflits ethniques. Bien entendu, vous devrez aussi assurer votre survie : votre action gêne les politiques locaux qui chercheront à vous éliminer.SDF Quest. Sans ressources et sans domicile, élaborez la stratégie la plus efficace pour vous resocialiser. Visitez les administrations qui pourraient vous aider. Multipliez les petits boulots. Ne cédez pas à l’humiliation ni à la
tentation de sombrer dans l’éthylisme.Moral Conflict. Vous héritez de l’affaire industrielle familiale après des années de militantisme alternatif. Il vous faudra redresser l’entreprise, fort mal en point, et la conduire vers l’autogestion tout en respectant vos
convictions : suppression de tout contrat de fourniture militaire, concertation avec les salariés, respect de l’environnement, absence d’abus de pouvoir…Ces petits exemples pour montrer que la simulation stratégique peut servir à autre chose qu’à illustrer les idées dominantes. Vous faites une partie ?1. Ce n’est pas le cas des jeux de baston, le personnage n’est pas l’incarnation d’un pouvoir transcendant, mais le plus souvent un pauvre type, militaire, mercenaire, justicier obsessionnel qui va risquer sa peau pour tuer
les méchants. Pas de fantasme de toute-puissance, d’ailleurs, souvent, il meurt.
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