L’île Maurice. A priori, cette destination évoque plus spontanément les vacances et le farniente que la vie des affaires et les technologies de l’information. Erreur ! Depuis son indépendance en 1968, ce petit pays de
1,2 million d’habitants et d’à peine 2 000 kilomètres carrés connaît un solide développement économique. Historiquement fondée sur la production de sucre, l’économie locale s’est peu à peu ouverte à la fabrication de vêtements de haut
de gamme et au tourisme de luxe. Jusqu’à devenir une référence en la matière.
Afin de consolider ses industries, le gouvernement de Port Louis a obtenu pour ses productions des avantages fiscaux à l’échelle internationale. Ainsi, l’accord de Cotonou garantit un prix d’achat de son sucre par l’Union européenne (UE)
à un cours supérieur à celui du marché. Et l’accord Multifibres le dispense de quotas pour la commercialisation, dans l’UE, des vêtements fabriqués à Maurice.
Mais les meilleures choses ont une fin. Ces deux statuts dérogatoires cesseront dès 2005 pour le textile et en 2008 pour le sucre. Ce qui a conduit les industriels du cru à rechercher de nouveaux débouchés. Parmi lesquels, les
technologies de l’information sont appelées à jouer un grand rôle.
Une tête de pont pour l’informatique indienne
‘ En fait, nous avons commencé par bâtir une importante activité dans le domaine
des services financiers offshore, explique Sushil Khushiram, ministre mauricien en charge du
développement économique. Aujourd’hui, le secteur emploie deux mille cinq cents personnes. ‘
Et forte de cette expérience en matière de prestations de services dématérialisés, l’île Maurice voudrait tirer pleinement profit des technologies de l’information. Son ambition ? Accueillir des équipes de développeurs de logiciels,
des opérateurs spécialisés dans l’externalisation des processus métier (Business Process Outsourcing), ainsi que des centres d’appel à vocation internationale.
Et, pour ce faire, le pays dispose d’arguments de poids. A commencer par son bilinguisme français-anglais. ‘ Histoire oblige, Maurice est un véritable condensé des deux cultures ‘,
reconnaît Marie-Christine Bancilhon, attachée commerciale de l’ambassade de France à Port Louis. Une presse quotidienne en français, mais une scolarité en anglais ; la conduite automobile à gauche, mais l’usage du système métrique ; le
Code Napoléon de 1804, mais un système de magistrature à l’anglo-saxonne… Chaque recoin de la vie quotidienne est marqué par ce panachage culturel. Un état de fait qui n’a pas échappé aux industriels indiens. Ces derniers sont bien décidés à
faire de l’île Maurice leur tête de pont pour aborder les marchés francophones.
A l’instar de la SSII indienne Infosys, qui recrute actuellement dans l’île à grand renfort d’encarts publiés dans la presse locale. Car les 10 000 kilomètres qui séparent Maurice de Paris peuvent constituer un véritable
argument. Il n’y a que deux heures de décalage avec l’Europe. Ce qui facilite, bien sûr, les échanges téléphoniques. Sans compter que la forte activité touristique a permis de multiplier les connexions aériennes internationales.Outre l’aménagement de son cadre fiscal, le gouvernement mauricien a dû investir dans les télécoms. Quitte à bousculer les intérêts de l’opérateur historique Mauritius Telecom, détenu à 40 % par France Télécom.
‘ Nous disposons de la connexion au câble sous-marin Safe, qui relie l’Inde à l’Europe en fibre optique ‘, insiste John Leung Tinko, président de Mauritius Telecom.
Mais si personne ne conteste la qualité de la transmission, ce sont plutôt les tarifs pratiqués qui font débat. ‘ Pour une ligne à haut débit à 2 Mbit/s entre Maurice et la France, il faudra débourser
12 600 dollars par mois, tempère Karolina Kennerley, qui dirige le cabinet de conseil Illumine Consulting. Et les tarifs proposés aux opérateurs concurrents pour établir les interconnexions ne permettent pas encore de
fonder un véritable modèle économique alternatif. ‘ Reste donc, pour l’Autorité de régulation des télécoms (Icta), à obtenir de Mauritius Telecom une diminution de ses prix.
Une situation qui explique que, pour l’instant, seul un challenger, DCL, propose des services internet sur l’île. En fait, d’autres opérateurs, comme Outremer Telecom, attendent que les conditions d’interconnexion deviennent abordables
sur le plan financier pour éventuellement débuter leurs activités.
Attirer les investisseurs étrangers avec une Cybercité
En attendant l’arrivée de sociétés du secteur high-tech, ce sont les spécialistes du bâtiment qui s’activent. En effet, le gouvernement mauricien a décidé la création d’une Cybercité à quelques kilomètres de sa capitale. Paul
Bérenger, le nouveau premier ministre en fonction depuis le 1er octobre dernier, compte en faire l’un des futurs symboles de l’île. ‘ Il s’agit d’un bâtiment de douze étages, soit
40 000&mètres carrés destinés à accueillir les entreprises du secteur technologique, explique Chundur Badhain, le président exécutif du BPML, l’organisme en charge de la commercialisation du site. L’immeuble devrait
être achevé en janvier prochain. ‘
Deux cents appartements et une quarantaine de maisons ont déjà été bâtis à proximité pour loger les futurs occupants. Le tout financé par une ligne de crédit de 100 millions de dollars par les autorités de New Delhi. Preuve
supplémentaire de ce que les Indiens surveillent attentivement le développement économique à Maurice : leur Premier ministre fera le déplacement au début de l’année prochaine pour participer à l’inauguration de ladite Cybercité.
Des déclinaisons sous forme de bâtiments annexes répartis au Nord et au Sud de l’île viendront compléter le dispositif. Certaines entreprises, comme Infosys ou le français Victoria Lines, qui emploie déjà une centaine de personnes dans
son centre d’appel, ont préféré se doter de leurs propres locaux.Mais si les équipes du Bureau en charge des investissements internationaux (BOI) multiplient depuis quelques mois les contacts à l’étranger pour attirer les investisseurs, Maurice peut aussi s’appuyer sur ses industriels locaux. C’est
le cas du Groupe Ciel, une société centenaire qui emploie vingt-cinq mille personnes dans le textile, l’hôtellerie ou les services financiers. ‘ Les banques mauriciennes montrent encore des réticences à investir dans les
technologies de l’information, constate Jean-Pierre Dalais, le président de Ciel Investissement. Ce qui nous oblige à financer ces nouvelles activités en capital. ‘ Son entreprise a ainsi acquis 70 %
du capital de Toolink, une jeune pousse mauricienne spécialisée dans le développement informatique. ‘ Le travail offshore nous incite à être plus rigoureux, souligne Etienne Lescureux, président de Toolink.
Nous apprenons à rédiger un véritable cahier des charges, et nous ne nous contentons plus de transmettre oralement des informations brouillonnes. ‘ Son objectif ? Employer cinq cents personnes sur l’île d’ici à
deux ans, contre une petite centaine aujourd’hui. ‘ Nous sommes toujours intéressés par des partenariats dans le secteur de l’informatique avec des groupes industriels, avertit Jean-Pierre Dalais. Quitte à
faire appel, pour répondre dans un premier temps à la demande, à des compétences à Madagascar si nous devions, à court terme, manquer de personnel qualifié à Maurice. ‘
Sensibiliser les jeunes aux nouvelles technologies
Situation que les autorités de Port Louis veulent éviter en mettant les bouchées doubles en matière de formation aux technologies. ‘ Chaque année, cinq cents diplômés en informatique et électronique de
l’université arrivent sur le marché du travail ‘, indique Arvindnath Rosunee, du Centre d’études sur les technologies de l’information à l’Université de Maurice.
Sans oublier un bon millier supplémentaire qui sorte des instituts privés.
Auxquels il faut ajouter les programmes directement organisés par les géants de l’informatique. ‘ Nous finançons un laboratoire à l’Université de Maurice ‘, confie Marc-Henry Ravaux, qui
dirige les activités de Microsoft dans l’océan Indien. ‘ Avec des professeurs que nous avons formés ‘, ajoute-t-il.
Tandis que Cisco a mis en place un Networking Academy Program afin de délivrer ses certifications maison à raison de 280 heures de cours dans l’année. Et pour susciter des vocations en informatique, le gouvernement subventionne
largement les entreprises. ‘ Dans le secteur des technologies de l’information, nous remboursons les frais de formation pour des montants pouvant atteindre dix fois la somme payée par l’entreprise au titre de la taxe
professionnelle, admet Roland Dubois, le directeur du Conseil national de la formation (IVTB). A titre indicatif, pour des secteurs jugés moins stratégiques, comme celui de la construction, le montant est limité à deux
fois. ‘
En outre, l’IVTB mène des campagnes dans la presse mauricienne pour sensibiliser les jeunes aux métiers relatifs aux technologies, des centres d’appel au développement de logiciel. On lui doit aussi la création, à Maurice, de
cursus spécialisés dans le commerce électronique.
Autre piste possible : la sauvegarde de données. A ce sujet, Maurice compte mettre en avant sa stabilité politique et l’instabilité de ses voisins ou partenaires, comme l’Inde ou l’Afrique du Sud, pour servir de base arrière
pour le back up informatique. ‘ Nous allons développer une activité dans ce secteur, confie Kushan Naik, directeur général d’une SSII mauricienne, SIL. Cela requiert peu de personnel, et c’est une activité
de long terme. ‘Et de rappeler que, contrairement à l’Inde, le réseau électrique de l’île ne connaît pas d’importantes fluctuations, qui pourraient s’avérer dommageables pour les machines.
Idem pour HP, qui étudie Maurice comme une destination possible. La firme dirigée par Carly Fiorina rejoindrait alors les multinationales qui opèrent déjà à partir de l’île, comme Cegetel pour ses centres d’appel ou le cabinet de conseil
Accenture pour diverses missions en matière d’externalisation.
Même si ce dernier ne tient pas à ce que l’on mette un coup de projecteur sur ses activités dans l’île.
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