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L’expérience précieuse de l’échec

Dans la mentalité américaine, l’échec d’un entrepreneur est aussi une learning opportunity.

Yahoo!, Amazon, mais aussi Priceline ou e-Toys, les grandes success stories de l’internet grand public ont subi des revers spectaculaires au cours des derniers mois. EBay, lui, continue son chemin : Pierre Omidyar, son fondateur, passe aujourd’hui pour le seul grand gagnant ” capitalistique ” de cette première vague.Un autre Français émigré a fait fortune, comme lui, outre-Atlantique : Alain Rossmann, l’inventeur du Wap, fondateur et chairman de Phone.com, devenue Openwave. Même s’il est trop tôt pour prédire l’avenir des jeunes entreprises qui misent sur la convergence de l’internet et du téléphone mobile, l’Histoire retiendra sûrement Alain Rossmann comme l’un des meilleurs entrepreneurs de la Silicon Valley.J’ai la chance de fréquenter depuis de longues années Pierre Omidyar et Alain Rossmann. Les deux hommes ont au moins deux points communs. D’abord, ce sont, l’un et l’autre, des visionnaires. Tous deux sont nés en France puis ont émigré aux États-Unis, le premier avec ses parents à l’époque du lycée, le second après avoir suivi, en France, des études supérieures (Polytechnique, puis l’École des Ponts) qui le destinaient à une carrière dans la haute administration française. Mais, après son MBA à Stanford, il a préféré ne jamais revenir en France, convaincu que le système ne lui permettrait pas de s’épanouir.Le second point commun aux deux hommes est moins connu : ils se sont trouvés tous deux en situation d’échec avant les lancements d’eBay et de Phone.com au milieu des années 90. L’un et l’autre étaient alors dirigeants dans des entreprises qui avaient eu raison trop tôt : Ink Development dans le secteur de l’e-commerce, rachetée par Microsoft, et EO, dans le domaine des ordinateurs de poche, rachetée par AT&T Ces expériences, quoique malheureuses, leur ont permis de tisser des liens avec les venture capitalists de la Silicon Valley.S’ils avaient échoué en France, il est peu probable qu’on les retrouverait aujourd’hui aux avant-postes du monde high-tech. Car jamais ils n’auraient eu accès aux financements qui leur ont permis de lancer eBay ou Phone.com. C’est l’une des différences culturelles fondamentales entre l’Europe (la France en tête) et les États-Unis : les revers subis par les entrepreneurs n’y sont pas perçus de la même façon. L’échec est pourtant une conséquence logique de la prise de risque, laquelle est inhérente au lancement d’une entreprise.Bien sûr, tous les échecs ne sont pas égaux et les capital-risqueurs, chasseurs de têtes et autres banquiers d’affaires de la Silicon Valley ont appris à distinguer les échecs évitables ?” les opportunités gâchées par un mauvais management ou la mégalomanie collective de l’équipe fondatrice ?” et les paris perdus sur un marché qui ne s’est pas développé dans les temps ou les proportions attendus. Dans ce dernier cas, l’échec n’est pas une tare mais une learning opportunity (occasion d’apprendre).À cet égard, il peut enrichir considérablement la sûreté de jugement et la rapidité de réaction des managers qui y sont confrontés. Car, à l’inverse, on n’apprend rien dans une société qui fonctionne bien (avec ses managers moins chevronnés, elle peut d’ailleurs attraper une pneumonie au premier courant d’air). De passionnantes études sur les raisons des succès et des échecs des sociétés ?” comme celles de Geoff Moore dans Crossing the Chasm et de Jim Collins dans Built to Last?” ont certainement contribué à éclairer dans ce sens l’analyse des acteurs financiers de la Silicon Valley.Bien sûr, les mentalités évoluent aussi en France, où, il n’y a pas si longtemps, les entrepreneurs qui déposaient leur bilan devaient prouver qu’ils n’avaient pas commis de faute dans leur gestion. À l’heure où les start-up souffrent, licencient ou se font racheter, les cadres qui les animent constituent un vivier de compétences d’une incroyable richesse. L’expérience de ces “enfants de l’échec” peut se révéler précieuse pour toutes les structures qui opèrent aujourd’hui leur mutation vers l’internet.Mais pourront-ils seulement rester en France, ces entrepreneurs qui ont perdu leur pari ?
Les dirigeants des grandes entreprises, comme Jean-Marie Messier ou François-Henri Pinault, qui sont en train de devenir des acteurs incontournables de la nouvelle économie en France, sauront-ils apprécier ces ” enfants de l’échec ” à leur juste valeur ? Quant aux capital-risqueurs français, ont-ils vraiment intégré cette composante de leur métier, encore neuve dans l’Hexagone ? Les douze prochains mois devraient nous le dire.

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Eric Archambeau