Cher Jean-Pierre,Je me rappellerai toujours de cette soirée ” networking “. Et surtout du moment où tu m’as dit le plus calmement du monde :“Internet c’était de la folie, aujourd’hui nous fermons tout.”Sur le coup, j’étais tellement abasourdi que j’ai bu mon champagne et que je me suis dirigé vers le bar, histoire de grignoter l’unique paquet de cacahuètes qui tenait lieu de buffet. Maintenant que je suis calmé, j’aimerais mettre deux trois choses au point, si tu le veux bien.Bon OK, tu as perdu beaucoup de pognon en finançant les start-up d’Internet. Oui, c’était de la folie, mais rappelle-moi, qui t’a obligé à investir ? Qui t’a forcé la main ? Des jeunes diplômés de HEC ont-ils débarqué dans ton bureau armés de cutters ? T’ont-ils menacés de venir s’écraser en ULM sur la tour qui abrite ta boîte ? Sûrement pas. Ces investissements, ces dizaines de millions de francs, c’est toi qui a décidé de les dépenser.Maintenant que nous sommes d’accord là-desssus, je veux bien faire un constat à l’amiable avec toi. C’est vrai, aujourd’hui tu te retrouves avec sur les bras un tas de boîtes qui ne valent plus grand chose. A ton grand étonnement, elles ne sont pas franchement rentables. Tu as beau te retourner contre les analystes qui promettaient la Lune à qui voulait bien acheter leurs études, on n’y croit pas. Parce que moi, j’en connais pas beaucoup des boîtes qui sont devenues rentables en deux ans. Prenons la tienne par exemple. Fusions, acquisitions, mise en Bourse, ça a pris plus de quarante ans, même que c’est écrit dans tes plaquettes.Alors oui, aujourd’hui tu as deux options : soit tout arrêter, ” prendre tes pertes ” comme on dit, ou continuer encore un peu. Evidemment, continuer pour continuer, ça ne sert à rien. Mais être actionnaire d’une boîte, fût-ce une start-up, ce n’est pas seulement se faire plein de ” brouzoufs “, c’est aussi la gérer. C’est peut être bête à dire, mais visiblement tu l’as oublié. Si tu te débrouilles bien, avec tout ton talent de gestionnaire ?” tu en as, n’est-ce pas ? ?”, nul doute que tu arriveras à serrer les boulons et poursuivre cette activité que tu jugeais promise à une croissance à quatre chiffres il y a six mois. Et peut être aussi que ces boîtes deviendront rentables un jour.Si tu n’en as pas de courage, tu peux toujours tout arrêter. Ca fera plaisir à ton PDG et à tes actionnaires. Eux, ils ont déjà oublié que c’est avec leur argent que tu as financé toutes les boîtes que tu fermes en ce moment. C’est déjà ça de gagné. Plutôt que d’affronter ton inconstance en face, baisse le rideau. Baissons tous ensemble le rideau sur les progrès technologiques incroyables qui ont été effectués pendant ces deux années ” de folie “, comme tu dis.Retournons à notre bon vieux Minitel, une haute technologie française… tout ça n’était qu’un rêve. C’est devenu un cauchemar. Le pire qui soit, celui de la régression technologique et intellectuelle.AmicalementAlain.* grand reporter au Nouvel HebdoProchaine chronique vendredi 26 octobre
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