Aveuglement ou méthode Coué ? Impossible de le savoir. Toutefois, les récents déboires des sociétés spécialisées dans la location d’applications ou ASP (Application Service Provider) n’ont pas refroidi l’optimisme des cabinets d’analyse. La dernière étude en date, publiée par IDC, promet en effet des perspectives réjouissantes pour ce marché. Il devrait ainsi passer de 1 Md? en 2000 à près de 24 Md? en 2005, soit une progression annuelle de plus de 89 % sur cette période.Pourtant, malgré le concept alléchant, les récentes déconvenues constatées sur le terrain permettent de douter de ces prévisions. En France, les mises en redressement judiciaire de spécialistes ASP se sont en effet multipliées ces derniers mois. Alors, le modèle ASP est-il une vraie fausse bonne idée ? Contrairement aux apparences, toutes les applications ne se prêtent pas à ce modèle économique. Seules celles qui sont normalisées, telles que les suites bureautiques ou les solutions de messagerie électronique, semblent à même, aujourd’hui, de s’adapter au modèle ASP.
Des coûts de déploiement encore trop onéreux
Touchés de plein fouet par la crise, les ASP spécialisés dans l’e-mail continuent donc à croire au décollage du marché. Mais sur le terrain, certains ont déjà jeté l’éponge. Ainsi, la société Outrade.com (gestion de messagerie) a disparu récemment, tandis que la start-up Akio est en cessation de paiement. De son côté, Critical Path doit sa survie uniquement à sa récente levée de fonds d’un montant de 14,5 M?.Quant à Mi8, son accord avec EDS arrive à point nommé pour relancer l’entreprise. D’autant que le géant informatique a pris une participation dans la société spécialisée dans les services de messagerie. Sans oublier que les opérateurs de télécommunications, occupant pourtant une place de choix pour capter ce marché, restent pour le moment discrets, à l’exception de KPNQWest. Ce dernier s’est d’ailleurs allié à Microsoft afin de proposer son service de messagerie et d’agenda partagé.Ce calme relatif se comprend aisément. La mise en place d’un service de messagerie nécessite de gros moyens, tant financiers qu’humains. “Le prix au mètre carré dans les salles blanches reste élevé, constate Jacques Montibert, directeur Europe de l’Ouest de Critical Path. Quant à en construire une, mieux vaut disposer de suffisamment de clients pour l’amortir. Sans oublier que pour séduire les grandes entreprises, une présence internationale se révèle fortement conseillée. Mais les coûts sont alors multipliés par le nombre de points de présence.”Afin de rentabiliser ces plates-formes, on peut toujours en mutualiser l’utilisation. “Actuellement, il est vraiment difficile d’être compétitif en terme de prix sur des plates-formes dédiées, réservées aux grands comptes, reconnaît Guy Link, directeur marketing de KPNQWest France. Mais les exigences pour une société de 10 000 sièges sont très fortes quant à la qualité du service et à la disponibilité de la solution. À 30,50 ? par mois et par utilisateur, l’entreprise se demande si elle ne pourrait pas, pour un budget de 3,65 M? par an, disposer d’une plate-forme de messagerie performante.”D’ailleurs, Critical Path, qui se vante de gérer 20 millions de sièges au niveau mondial avec son service de messagerie de type ASP, propose uniquement un hébergement mutualisé. “Seule cette formule nous assure une tarification compétitive et nous permet de rentabiliser notre plate-forme”, avoue Jacques Montibert de Critical Path.Ayant pour cible initiale les PME, les fournisseurs d’applications en mode locatif visent maintenant les grandes entreprises, plus familiarisées avec la notion d’outsourcing. Seulement, ces clients sont très exigeants. La demande de plate-forme dédiée est récurrente pour ce segment de marché. Jacques Montibert reste pourtant confiant, malgré son offre mutualisée. “Il faut comprendre que notre prestation n’est en aucun cas un frein pour les grandes entreprises. En effet, la sécurité et la confidentialité des messages sont totalement assurées. Cette fonction dépend davantage du logiciel serveur de messagerie retenu. Ainsi, Microsoft Exchange garantit une parfaite étanchéité entre les différents domaines. De plus, cette mutualisation permet de bénéficier de services complets, comme la réplication du contenu sur un site distant à un prix compétitif”, explique-t-il.Pourtant, tous les acteurs de ce marché ne le ressentent pas ainsi. Guy Link avoue que KPNQWest est en discussion avec un groupe pour un projet de 15 000 sièges : “Il est vraiment difficile d’être compétitif au niveau du prix. Avec les grands comptes, la plate-forme doit impérativement être dédiée et redondée, les données dupliquées et déportées sur un site distant. Avec de telles contraintes, les infrastructures dédiées ont un coût élevé, que l’on peut difficilement reporter sur le client.”De plus, les acteurs reconnaissent que les services de messagerie électronique ne suffisent pas à séduire les entreprises. “Ils souhaitent également bénéficier de fonctions de travail collaboratif (agenda partagé, etc.)”, lâche Jean-Jacques Vigne, responsable de l’offre d’accès de Colt Telecom. Et Jacques Montibert de conclure : “Sans ces prestations connexes, l’intérêt d’un service de messagerie électronique reste limité. Si tel est le cas, nous nous trouvons en confrontation avec les “outsourceurs” traditionnels.”
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