Avouons-le : quand une nouvelle machine prend la pole-position du Top500 des plus puissants supercalculateurs du monde, nous nous empressons de mettre en lumière ces géants de la puissance de calcul… tout en ignorant beaucoup de choses à leur sujet.
Rangées d’armoires garnies de millions de cœurs CPU, des GPUs les plus puissants (et les plus chers) et mis en réseau de manière complexe, les supercalculateurs sont un monde à part dans le domaine de l’informatique. Et leur réalité est bien plus complexe qu’un simple classement de puissance. Car derrière ce Top500 se cache bien sûr des avancées technologiques, des intérêts d’influence, mais aussi un classement simpliste, sans doute biaisé et parfaitement incomplet.
Un test unique et donc réducteur
Ce classement des plus puissants supercalculateurs, parlons-en. À quoi correspond-il ? À une mesure de performance basée sur un benchmark unique appelé HPLinpack, une version hautement parallélisée du LINPACK original. Et comme le précise bien le site du Top500, ce benchmark ne saurait refléter les compétences et les performances réelles des machines, mais simplement « les performances d’un système pour résoudre un système dense d’équations linéaires ».
Or, les charges et la nature des calculs qu’ont besoin de résoudre les supercalculateurs sont très différents d’un champ à l’autre. Qu’il s’agisse de simulation météorologique ou nucléaire, d’entraînement d’IA, de résolution de problèmes combinatoires pour trouver de nouvelles molécules ou tenter de casser des clés de sécurité, les différentes machines sont plus ou moins adaptées pour certains types de calculs que d’autres. Et HPLinpack n’est pas une suite d’outils hétérogènes de mesure de performance.
C’est cette relative variété de types de calculs – et de contraintes, comme la sécurité notamment – qui explique l’autre variété, relative, elle aussi,, de composants électroniques.
Des avancées technologiques qui dictent l’évolution du classement
Le principal axe de communication du classement tourne fort logiquement autour de l’arrivée de nouveaux composants. Toujours plus puissants, les CPU et GPU (et de plus en plus les accélérateurs IA) sont l’occasion pour les entreprises de faire montre de leur puissance. Chaque nouvelle génération majeure de puces leur sert de vitrine.
L’exemple le plus récent est l’arrivée en tête d’AMD, qui propulse le premier supercalculateur exaflopique (officiel) de l’histoire. Éternel challenger d’Intel, AMD lui grignote des parts de marché, alors qu’Intel a dominé le Top500 de la tête et des épaules durant des années. Avec ses progrès de ces dernières années, AMD a réussi à placer ses CPU et ses GPU dans des projets majeurs.
Est-ce la preuve que la marque A ou B est plus performante ? Pas uniquement : HPLinpack étant hautement parallélisable, plus il y a de puce (et de cœurs), plus le calculateur est performant – même si tout le défi des entreprises qui assemblent ces machines, comme HPE, est de faire en sorte que la montée en puissance soit le plus linéaire possible. Mais pour l’entreprise dont les puces sont choisies par les maîtres d’œuvres, les (premières) places dans le Top500 sont la garantie d’une bonne publicité « organique ».
Ceux qui veulent briller
Toute annonce d’arrivée dans ce Top500 – à fortiori en tête ! – est donc l’occasion pour certaines entreprises de briller. Des « classiques » fournisseurs de puces qui ont pignon sur rue – Intel, AMD, Nvidia, etc. – aux intégrateurs moins grand public tels que Atos, Cray/HPE et autres. Pub supplémentaire pour les premiers, preuve de savoir-faire pour les seconds, les articles et communication font partie du jeu qui vise à faire parler de soi et mettre en lumière un travail qui prend parfois des années.
C’est aussi un enjeu quasi géopolitique. Un bal où non seulement les entreprises, mais aussi les universités, les régions, les gouvernements communiquent sur leur place dans le « monde » des calculateurs. Une communication qui a plusieurs visées : mettre en avant la puissance, l’attractivité, le niveau de qualification des équipes, le niveau d’équipement (telle université a le plus de puissance, etc.) Mais aussi gonfler les muscles dans un monde devenu multipolaire : l’Europe, avec ses projets récents – on pense ici à l’Adastra français (10e) ou au Lumi finlandais (3e) – tente de renforcer sa « puissance » dans ce Top500 face à des USA à la domination historique. Mais aussi face à une Chine qui, si elle ne tient pas (officiellement, lire plus bas) le haut du pavé, dispose du plus grand nombre de machines références dans cette liste.
Ceux qui restent dans l’ombre… parfois à dessein
Les feux de projecteurs étant directionnels, de nombreuses entreprises sont bien souvent dans l’ombre des grands noms, au moins pour le grand public. Il y a HPE Cray dont nous avons déjà parlé, grand maître d’œuvre des machines finlandaise et française évoquées plus haut, ainsi que du premier (petit) supercalculateur spatial. Il y a aussi des fournisseurs de composants comme IBM qui, par leur retrait du monde des machines grand public et de la spécificité de leurs puces, ont du mal à voir la lumière – alors que ce sont des puces Power9 qui propulsent le 5e du classement… et que ce sont ses serveurs z qui gèrent nos transactions bancaires. Mais c’est le jeu du temps d’attention et de la spécialisation des marchés.
D’autres en revanche ne cherchent pas l’ombre, mais carrément les ténèbres. Ces « autres » ce sont les gouvernements et les agences gouvernementales liées à la défense ou au renseignement. Comme l’explique très bien un article de The New Scientist, Frontier marque moins l’ouverture officielle des supercalculateurs exaflopiques que l’arrivée d’une telle machine dans une liste publique.
Il y a en effet de bonnes raisons de penser que des organes chinois ou étasuniens ont sans doute déjà dépassé cette puissance de manière officieuse. La NSA fut longtemps réputée pour embaucher les meilleurs mathématiciens et informaticiens de leur génération. Des scandales passés tels que le programme PRISM ont mis en lumière les immenses besoins de calcul et de rapidité de traitement des données des différentes officines de renseignement. L’appel d’offre JEDI de plusieurs milliards de dollars a donné une idée de l’ampleur de la valeur des contrats officiels.
Et au vu des budgets et de ses aspirations internationales, il semble évident que la Chine a la même politique d’équipement en puissance de calcul. Une Chine dont la nature autocratique de l’organisation politique fait que ce genre de projet est bien plus facile à cacher que dans les démocraties occidentales. Et qui fait dire à de nombreux analystes qu’elle joue la modestie à ce sujet.
Cela veut-il dire que le classement du Top500 est à jeter ? Aucunement : il permet de mesurer la popularité de certaines architectures processeur (les choix sont ici plus techniques que politiques), les parts de marché des différentes entreprises, les ambitions et les moyens des différents pays/universités, les évolutions de l’efficacité énergétique (au travers du second classement Green500) des puces, etc. Mais il ne saurait permettre aux néophytes d’avoir un avis tranché sur telle ou telle architecture. Et il ne permet pas de savoir qui dispose de l’ordinateur le plus puissant du monde, uniquement de ceux qu’on veut bien rendre publics.
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Source : The New Scientist / MSN