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Les opérateurs européens sont-ils condamnés au déclin ?

Soumis à de nombreuses contraintes concurrentielles, à l’absence d’un marché unique et à la nécessité de se réinventer tout en investissant, les opérateurs de télécommunications européens pourraient perdre pied à plus ou moins long terme.

Tous les ans, le DigiWorld Yearbook de l’Idate dresse le bilan de l’année précédente et trace les grandes tendances qui prendront a priori leur essor l’année suivante. Cette année parmi la déferlante d’informations et de chiffres, la carte économique du monde numérique telle que dressée par l’institut d’études et d’analyses posait la question du déclin du marché des télécommunications en Europe.

La crise en première ligne

L’Idate note en effet une baisse de 0,5 % du chiffre d’affaires consolidé des opérateurs européens mobiles : -2,2 % en France, -6,2 % au Portugal, -0,6 % au Royaume-Uni et -13,1 % en Grèce. Les différences s’expliquant par deux facteurs liés. D’une part, par l’impact de la crise des dettes souveraines sur les économies. On voit à quel point le marché hellène est touché.

D’autre part, par le fait qu’historiquement de « nombreux marchés européens de la téléphonie mobile reposent sur le modèle du prépayé [des cartes achetées au coup par coup, NDLR] et non du post-payé [un abonnement avec engagement] », précisait François Barrault, président de l’Idate. Avec le premier, en cas de problème budgétaire, un particulier suspend évidemment plus facilement son « investissement », concluait-il sur ce point.

Souci d’investissements

Quoi qu’il en soit, ces baisses du chiffre d’affaires des opérateurs européens de téléphonie sont d’autant plus flagrantes que les acteurs américains voient croître leurs revenus de 4,5 % pour l’année 2011, selon l’Idate. Le DigiWorld Yearbook pointe également une tendance assez lourde. Le Capex, les dépenses d’investissements, des plus gros opérateurs nord-américains est supérieur de 4 à 5 points à celui des opérateurs européens (15 % du CA, contre 10 % en moyenne).

Autrement dit, aux Etats-Unis, l’investissement est plus fort, ce qui se matérialise notamment par une installation de la 4G LTE plus rapide qu’en Europe, alors qu’ils étaient au départ en retard pour la 3G. De là à penser que l’investissement tire la croissance et qu’il y a quatre ou cinq ans, les autorités de régulation auraient dû à la fois encourager à l’investissement dans la 4G et ouvrir la porte à un nouvel entrant, avec le bénéfice qu’on connaît désormais, il n’y a qu’un pas.


Evolution du marché des services mobiles en Europe (des 27, NDLR) et aux Etats-unis.

Nouveau modèle

Car l’installation de la 4G LTE, encore limitée en débit et en usage voix, marque aussi un changement de paradigme. Toute l’économie des opérateurs est remise en question. Le modèle économique des opérateurs reposait jusqu’à présent beaucoup sur la facturation à la minute d’un temps d’utilisation. Il s’ouvre désormais au tout-data, à la bande passante, où les appels passent en VoIP.

« Il faut donc opérer en douceur ce changement de modèle », avançait Didier Pouillot, chargé des aspects économiques des télécommunications à l’Idate, mais cette transition n’est pas facile pour les opérateurs. Au-delà des lourdeurs internes, il n’est pas aisé de changer de stratégie quand les actionnaires bloquent parfois des quatre fers, cherchant le bénéfice de trimestre en trimestre sans voir à plus longs termes.

L’intrusion de « l’informatique », et du Net, a donc non seulement ébréché l’univers des opérateurs de téléphonie, mais elle a également permis l’émergence de nouveaux acteurs. Notamment les acteurs dits « over the top », qui sont ces sociétés, comme Facebook ou Google, qui utilisent les réseaux pour s’enrichir, sans contribuer à leur entretien ou à leur financement. On assiste alors à « un transfert de valeur, au détriment des opérateurs », précisait François Barrault.

Le rôle des régulateurs à l’avenir

Mais au-delà de la question économique pure, les opérateurs européens ont également un autre problème, à double fond, par rapport à leurs confrères nord-américains. Le premier est l’absence d’un marché unique, qui serait synonyme de « potentiel de croissance et de consolidation de l’offre », or, « il existe plus de 160 opérateurs en Europe à l’heure actuelle », complétait Didier Pouillot, et l’Europe est « un damier de 27 marchés ».

Le second tient à la régulation. Face à cette multiplicité de facettes, limiter la régulation à l’échelle nationale ne fait pas de sens. Pour François Barrault, le problème de régulation doit être considéré à l’échelle supranationale, à l’échelle européenne. « Il est nécessaire d’imposer une entité, un super régulateur, encore à créer », qui verrait à long terme et permettrait aux opérateurs d’échapper à l’absence de marché unique européen.

Revenant à la charge, comme pour éviter tout discours sur les méfaits de la technocratie partisane, François Barrault affinait sa vision de ce que serait une des premières constantes d’une régulation efficace. Elle devrait échapper au temps court des mandats politiques. Mieux, pour lui, il serait bon de faire en sorte que les chargés des questions numériques soient des professionnels éclairés, car les milieux des télécommunications sont « assez fermés » aux non-initiés, à ceux qui n’appartiennent pas à leur cercle. En sus, ces régulateurs, ces politiciens ne devraient pas voir le passage à ces postes comme « une rampe de lancement pour une carrière ou comme un remerciement pour service rendu ».

Quel futur ?

Pour les responsables de l’Idate, la situation actuelle pose une question lourde de conséquence : « doit-on attendre la paupérisation générale des opérateurs européens ? » car c’est ce vers quoi nous allons, malgré le mécontentement des utilisateurs, qui ont l’impression d’être toujours les dindons de la farce.

Une paupérisation qui aboutirait, en boule de neige, à encore moins d’investissements, à une détérioration des services et à une baisse de la valorisation boursière. Ce qui pourrait mener, en définitive, à des prises de contrôle par des acteurs d’Amérique du Nord, ou de Chine, où les marchés bénéficient à plein d’une explosion de la croissance et d’une économie d’échelle.

Bien entendu, le paysage européen des opérateurs est extrêmement diversifié, certains sont très endettés, d’autres le sont moins. Certains sont totalement privés alors que d’autres peuvent compter sur le soutien de l’Etat. Encore que, dans un cadre de dette souveraine lourde, les Etats aient plutôt tendance à vouloir récolter le fruit de leurs investissements passés plutôt que de recommencer à investir pour l’avenir. Les opérateurs doivent bouger et vite ou l’Europe pourrait considérablement prendre du retard et perdre définitivement la main…

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Pierre Fontaine