Si seuls des privilégiés disposent d’un accès internet, c’est maintenant qu’il faut réfléchir à une nouvelle organisation du travail, clame Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit du travail à Paris I et auteur du Droit du travail à l’épreuve des NTIC (*). Il devient de plus en plus difficile de compter les heures travaillées. La discussion sur Janis Joplin avec un voisin de bureau, la dotation d’un ordinateur par l’employeur ou les tâches effectuées à la maison sont autant d’éléments qui contribuent au “ brouillage entre vie privée et vie professionnelle “. Jean-Emmanuel Ray recommande aux syndicats la mise en place d’un code de savoir-vivre, “la courtoisie étant plus importante que le droit “.C’est le droit à l’isolement, au repos qui doit constituer le cheval de bataille des cadres. Le ” travailleur du savoir “, selon un sondage du Financial Times réalisé en septembre 1999, a ses meilleures idées professionnelles tout d’abord durant ses congés, puis lors des trajets. Pour Jean-Emmanuel Ray, ces réponses illustrent les changements du rapport au travail induits par les nouvelles technologies. Car “le repos des bras physiquement fatigués (notion retenue par le droit du travail construit pour les mineurs ou les “métallos”) n’a pas le même sens que le repos des neurones qui, d’ailleurs, n’en font qu’à leur tête, travaillant d’eux-mêmes la nuit ou en plein week-end“. Ce qui confère au travailleur du savoir un don d’ubiquité, affirme sans hésitation cet universitaire. Aussi, il s’interroge : “Pourquoi ne pas trouver un compromis entre temps travaillé à la maison et temps de repos au bureau ? ” La conciliation signée par le constructeur IBM en Allemagne, qui interdit notamment de contacter un collaborateur pendant le week-end, pourrait avoir valeur d’exemple.
Une charte de l’internet au travail
À l’ère d’internet, où le contrôle du courrier électronique par les entreprises devient un élément stratégique, l’élaboration d’une charte est ainsi indispensable. Mais toujours selon Jean-Emmanuel Ray, juriste, direction des ressources humaines et direction des services informatiques doivent la rédiger de concert. L’illettrisme technologique devant être complété par les connaissances du droit du travail. Certes, tout droit de surveillance repose sur l’article 120-2 du Code du travail : “Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché.” Pour autant, l’application de cette disposition est soumise à diverses interprétations. “En l’absence de texte spécifique, tous les droits sont cumulatifs : Code du travail, loi informatique et libertés, droit pénal informatique, liberté d’expression et libertés personnelles…“, énumère-t-il. Ce qui aboutit à un trop plein juridique bien plus qu’au vide que d’aucuns seraient tentés d’invoquer. Mais ce carrefour est dangereux, s’inquiète Jean-Emmanuel Ray.Ainsi, la liberté d’expression peut facilement entrer en contradiction avec le droit des entreprises à contrôler le courrier de ses salariés, à condition de les avoir préalablement avertis. Le citoyen-salarié prévaut sur le salarié-citoyen. Cet exemple illustre le changement du rapport salarial qui va sans doute évoluer “ dans un sens connu depuis plus de vingt ans : moins de subordination et l’obligation de moyen, plus d’autonomie et d’obligation de résultat “.
(*) Jean-Emmanuel Ray, “Le Droit du travail à lépreuve des NTIC“, éditions Liaisons, 125 francs, 247 pages.
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