Cheveux gris et têtes pensantes. Voici le visage de la nouvelle économie à en croire les participants de Capital IT. Rassemblés fin mars à Paris, à l’orée du bois de Boulogne, quarante jeunes sociétés à la recherche de fonds “défilent” devant des investisseurs, industriels et capital-risqueurs. L’ambiance vire au morose lors de la première journée de présentation, où tous les participants se plaignent du contexte financier défavorable depuis l’e-krach.” Je me demande bien ce que les start-up qui se présentent ici vont bien pouvoir lever comme fonds “, glisse cyniquement un représentant d’IBM tandis qu’un petit groupe d’avocats se plaint de ne plus trouver de clients solvables. Malgré tout, environ 600 personnes ont fait le déplacement.Les journées sont rythmées par deux gardiens du temps, des clowns élégants affublés d’un gros réveil en bandoulière. Les jeunes pousses, choisies parmi les 204 dossiers parvenus à l’organisateur Mar-Tech Europe, disposent de vingt minutes pour convaincre leur auditoire. En cas de dépassement, les deux ” Monsieur Loyal ” viennent perturber le présentateur. Georges Bacha, président de Reseauphoto.com, qui passe dans quelques minutes, répète sa présentation.Convaincre est le challenge, d’autant plus difficile pour cette 5e édition de Capital IT, placée sous le signe de la prudence et de l’attentisme. La chute des valeurs de la net économie et les médiatiques erreurs de gestion de sociétés immatures sont passées par là. ” Aujourd’hui les investisseurs ne veulent qu’une seule chose : du concret et non du concept “, remarque Emmanuel Libaudière, président de Mar-Tech Europe.Pourtant, lors de précédentes éditions de Capital IT, en novembre 1999 et mars 2000, les mêmes fonds d’investissement s’arrachaient les dossiers de start-up communautaires, basées sur des ressources à 90 % publicitaires. Une fois les présentations terminées, une nuée de participants suivait les représentants des start-up dans les salles adjacentes dédiées au debriefing.Aujourd’hui les start-up sont déçues. “ Il n’y avait qu’une quarantaine d’auditeurs lors de ma présentation et personne ne s’est présenté après. En revanche, cela m’a permis de discuter directement avec des investisseurs “, remarque George Bacha de Reseauphoto.com. L’effervescence est finie.Même les comédiens clowns de Capital IT en pâtissent : ” Au début, les présentations débordaient facilement, et nous intervenions fréquemment. Maintenant, c’est beaucoup plus professionnel. À tel point que l’on finit par s’ennuyer. “Fabrice Grinda, ancien PDG du site de ventes aux enchères Aucland, figure des premiers temps de la net économie à la française, donne au passage son analyse : ” J’avais présenté Aucland à la première édition de Capital IT, en mars 1999. C’était les débuts du web en France. Les investisseurs étaient très sceptiques, les levées de fonds difficiles à boucler. Ensuite, l’euphorie a pris le dessus. Maintenant, on en revient à l’ambiance du premier, avec une différence notoire : c’est la même communauté financière, sauf que tout le monde comprend de quoi on parle. “Le nouveau portrait robot de la société candidate au capital-risque est rapide à tracer : une entreprise dotée d’une technologie innovante et brevetée, portée par un management expérimenté. Les projets d’e-commerce destinés aux particuliers ont été rangés au placard : “ Nous avons actuellement un très bon projet en B to C, mais il est impossible de les soutenir. On leur a expliqué qu’en ce moment, ils ne pourraient pas trouver d’investisseurs “, regrette Benoît Bagourd, du bureau marseillais d’Ernst & Young Corporate Finances.Même les projets de vente en ligne aux professionnels ont du mal à sortir du lot. Dans la sélection Capital IT 5, deux sociétés seulement présentent ce profil. La répartition des activités des 40 sélectionnées s’approche fortement de celle de la première édition. La technologie, et particulièrement le logiciel, sont surreprésentés.Par contre, la nature des projets technologiques a évolué. “ Il y a eu la génération d’invention des outils ou des briques de systèmes, pour les ERP [progiciels de gestion intégrés, ndlr] par exemple. Maintenant, on crée de la technologie sur des systèmes existants. Ainsi il s’agit surtout d’applicatifs, de produits dont la finalité est le client “, analyse Stéphane Roussier, président de France et Finances Technologies, maison mère de Mar-Tech Europe.Les jeunes pousses se lancent sur des marchés dont les bases et les infrastructures sont déjà posées, comme les télécoms ou les accès internet à haut débit. “ C’est une approche plus alimentaire, plus radicale et plus pragmatique “, lance Stéphane Roussier.Auparavant, les start-up visaient la création de nouveaux marchés et services. Avec un grand point d’interrogation sur le potentiel de clients et très peu de critères fiables à disposition pour évaluer la pertinence à moyen et long terme du modèle de vente.De nouvelles sources de revenus devraient porter le développement du online : la publicité en ligne, les commissions issues de business d’intermédiation, facilité par le réseau, ou encore une autre forme de vente à distance qui devrait toucher, via le web, de nouvelles catégories de consommateurs.Les revenus publicitaires, au c?”ur des business modèles de l’époque, ont totalement disparu des projets des prétendants à la net économie. Les entrepreneurs présentent des plans basés sur des besoins existants, associés à des marchés émergents. Pour les logiciels, la vente directe ou par abonnement, en ASP par exemple, est désormais la seule source de revenus avancée.
Bourse et international en sourdine
Si les business plan se sont assainis, la stratégie de développement des jeunes pousses a aussi mûri. La Bourse, perçue comme la voie royale de sortie pour les start-up, n’est plus programmée dès le premier tour de table. Leacom, doublement vainqueur de Capital IT avec le prix de la Best 1 et celui du potentiel de développement, se présentait comme étant en phase de pré-IPO.” Nous serons sûrement amenés à réaliser un troisième tour, au regard des conditions actuelles de marché, déplore son patron, Eric Berthaud. L’objectif serait de faire entrer au capital un partenaire industriel qui sécuriserait le dossier pour la future introduction en Bourse. ” De plus en plus, les start-up se posent même la question de la meilleure valorisation, entre une introduction et une fusion-acquisition avec un industriel.La balance penche souvent vers le second choix, le marché boursier étant beaucoup moins ouvert à l’innovation. ” En 2000, tout le monde réclamait des dossiers B to C, il fallait répondre à cette demande, se justifie Pierre-Yves Jousselin, responsable commercial chez Euronext. Aujourd’hui, il serait absolument impossible de représenter des dossiers comme Kazibao ou Multimania. Les introductions concernent des SSII ou des sociétés dans le hardware ou le software. On a fait en 2000 du capital-risque et ce n’était pas notre rôle. “Autre conséquence de la prise de maturité, l’attaque des marchés internationaux n’est plus systématiquement mise en avant par les start-up qui se présentent. La maîtrise d’un marché national, même de niche, est déjà exigée. “ Il vaut mieux se développer progressivement avant d’avoir la folie des grandeurs, remarque Emmanuel Libaudière. Être partout en Europe peut vite signifier dépenser de l’argent à fonds perdus. Mêmes si dans certains domaines, comme les places de marché, par exemple, l’internationalisation est indispensable. “Le représentant d’un fonds européen regrette du coup le manque d’ambition des projets présentés. ” Impossible que cela m’intéresse, s’exclame t-il. C’est bien trop franco-français ici. “
Les paradoxes du financier
Les participants ont parfois du mal à suivre les volontés des investisseurs. ” Je ne comprends pas, lance Jean-Marc Bobay, DG de Netpartage, qui avait tenté la sélection. D’un côté, on nous dit qu’il faut être rentable. D’un autre côté, je suis allé voir des capital-risqueurs qui m’ont demandé pourquoi je venais les voir, puisque je pouvais vivre sans eux ! “En position d’attente, les investisseurs expliquent discrètement qu’ils consacrent surtout leur temps et leur énergie à nettoyer leurs portefeuilles. Les critiques fusent à leur encontre tout au long de Capital IT. ” Je ne suis pas d’accord, les venture capitalists (VC) sont utiles. Ils sont une étape indispensable de la chaîne et les investissements doivent absolument reprendre. Quand on voit la différence de moyens entre les fonds français et européens, et les fonds américains, je pense qu’il va falloir réagir “, s’indigne Eric Berthaud de Léacom, entouré de capital-risqueurs anglo-saxons après sa présentation volontairement menée en anglais.À une table ronde rassemblant des investisseurs en capital-risque, Europatweb indique disposer de 200 millions d’euros (1,3 milliard de francs) à investir, et les représentants de Cisco et de Braodview précisent que leurs investissements reprennent. Si les fonds ne sont pas taris, ils se cristallisent sur un moindre nombre de dossiers, les meilleurs, que les VC s’arrachent.Fabrice Grinda reste plus qu’optimiste : ” Nous sommes à la veille d’une extraordinaire période d’innovation. Ceux qui disent qu’internet est mort n’ont rien compris. Le web s’imbrique progressivement dans notre vie de tous les jours, sans même qu’on s’en rende compte. C’est le moment ou jamais d’entreprendre. Aujourd’hui, il faut soit se contenter de fonds d’amorçage et se développer seul ensuite, soit réaliser une vraie levée. Les investissements se feront sur moins de projets mais avec beaucoup plus de moyens. “Partie un peu trop vite, la machine internet pourrait bien, d’ici à quelques années, quand les utilisateurs du web seront réellement présents, remettre à l’honneur les projets aujourd’hui laissés pour compte. “ Je ne voudrais pas que la bulle financière brise l’innovation, remarque Bernard Duffau, administrateur d’IBM France et président du jury de Capital IT. L’entreprenariat est indispensable. Et je pense qu’on en reviendra aux projets destinés à l’utilisateur final. ”
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