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Les nouveaux défis du recyclage

Avec 420 millions de tonnes collectées en 2010, la filière de recyclage des déchets électroniques (DEEE), créée fin 2006, monte en puissance.

En une belle journée de printemps, un gros moniteur cathodique (au moins 21 pouces à première vue) gît, à moitié désossé, dans une ruelle du 1er arrondissement de Lyon. La coque plastique a été démantelée, les circuits électroniques traînent sur le macadam, encore attachés aux nappes de câbles. Le tube a implosé, libérant probablement les poudres toxiques qui en tapissaient la surface interne. Tout semble encore là sauf le déviateur, cet ensemble de bobines de cuivre qui sert à dévier les électrons crachés par le canon. Ce n’est pas un hasard : c’est le seul composant de l’écran qui a de la valeur, et d’autant plus facilement revendable que le cours des métaux est au plus haut. Manifestement, un biffin connaisseur est passé par là.Cet écran a donc échappé à son destin idéal : le recyclage. Comme bien d’autres “ déchets d’équipements électriques et électroniques ” (DEEE ou D3E, selon la terminologie officielle)… La filière de collecte, financée par la fameuse éco-participation qui renchérit le prix de tous nos produits high-tech, prend actuellement en charge 6,5 kg par habitant et par an, selon Eco-Systèmes, le principal des quatre éco-organismes agréés par l’État (lire en dernière page de l’article). C’est à la fois peu et beaucoup. Peu en regard des 22 kg (par an et par habitant) d’appareils vendus en France, selon les déclarations des constructeurs. Peu, encore, par rapport aux 16 kg de DEEE que chacun de nous produirait ? c’est forcément une estimation ? chaque année. “ Une grande partie échappe encore à la filière ”, reconnaît Véronique Poirier, directrice de la communication d’Eco-Systèmes.Mais c’est aussi beaucoup si l’on considère d’où l’on vient. Ce n’est en effet qu’en novembre 2006 que la filière fut mise en place en France, en application d’une directive européenne, datant de janvier 2003, imposant la collecte sélective des DEEE, la dépollution par élimination de certains composants, puis la réutilisation, le recyclage et la valorisation des déchets. Très vite, les chiffres ont grimpé : 175 milliers de tonnes ont été collectées en 2007, 301 en 2008, 393 en 2009, plus de 420 en 2010. “ Il faut souligner la rapidité de mise en œuvre de la filière de collecte, ainsi que celle de la mise en place d’outils industriels pour traiter les déchets ”, souligne Jean-Charles Caudron, l’un des responsables des filières Rep (voir encadré ci-contre) et Recyclage de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (Ademe). Les éco-organismes sont d’ailleurs au-delà des exigences du gouvernement, fixées à 6 kg pour l’année 2010 contre 4 kg en 2006. Mais celles-ci ont été revues à la hausse.

Des objectifs ambitieux

Anticipant une prochaine nouvelle directive européenne, actuellement en discussion, le gouvernement a en effet profité, l’an dernier, de la procédure de réagrément des éco-organismes pour augmenter la dose. D’abord un kilo de plus par habitant et par an, jusqu’à atteindre 10 kg en 2014.Or tout le monde, dans le milieu, est d’accord : si les premiers kilos étaient les plus faciles à récupérer, la difficulté pour les suivants ne fait pas de doute. La filière est en effet confrontée à plusieurs problèmes qu’il faudra bien résoudre. L’essor du commerce en ligne, par exemple, n’est pas forcément une bonne nouvelle : la reprise des anciens appareils ? théoriquement obligatoire ? y fonctionne mal. “ Les consommateurs ont du mal avec l’envoi par colis postal de leurs anciens matériels, explique Stéphane Bernhard, juriste spécialisé environnement au sein de l’association de consommateurs CLCV, et responsable d’une enquête annuelle sur le sujet. Mais surtout, la plupart des marchands sur Internet ne jouent pas le jeu et ne communiquent pas sur le sujet. Pourtant des solutions existent, avec la reprise de l’ancien appareil lors de la livraison du nouveau : il suffirait de s’organiser avec le transporteur. ”Il faudra aussi lutter contre le vol et le vandalisme, comme en témoigne le destin de notre pauvre moniteur cathodique abandonné sur un trottoir lyonnais. “ Avec la hausse du cours des métaux, des gens vont ramasser les DEEE et les dépecer sauvagement, pour ne garder que les éléments revendables ? cuivre dans la machine à laver ou compresseur du frigo. Le reste, y compris bien sûr les substances toxiques, est abandonné et va polluer l’environnement ”, explique Jean-Charles Caudron, de l’Ademe. Des pratiques qui ne sont pas vraiment quantifiables, mais apparemment en plein essor, même si l’essentiel des fraudes de grande ampleur concerne surtout la filière professionnelle.

Une nécessaire pédagogie

Parfois même, ce détournement des DEEE s’effectue sans que l’auteur ait vraiment l’impression de mal faire ? comme cet employé municipal qui, au pied de la benne sélective vers laquelle il était censé nous orienter, récupéra discrètement la vieille, encombrante et hors d’usage imprimante laser que nous apportions, au prétexte qu’“ il y a sûrement des pièces qui peuvent encore servir ” ! Et tout le monde n’a pas forcément les bons réflexes. “ Beaucoup de propriétaires d’appareils hors d’usage croient encore que les mettre sur le trottoir avec les encombrants est une bonne action, résume Véronique Poirier. Mais ils n’ont aucune garantie qu’il y ait dépollution, et encore moins recyclage. ” De fait, un gros travail de communication est encore à faire auprès du grand public. Celui-ci peut d’ailleurs prendre des tournants inattendus : depuis 2008, l’éco-organisme ERP-France organise chaque année une “ recycling party ”, série de concerts musicaux gratuits, mais réservés à ceux qui rapportent un appareil électrique à recycler… Car c’est surtout une catégorie d’appareils qui passe à travers les mailles de la filière. Lecteurs de l’Oi+SVM, vous la connaissez bien, on vous la décortique à longueurs de pages : ce sont les “ petits appareils ” ? baladeurs, imprimantes, ordinateurs portables, appareils photos, consoles de jeu, etc. ? récupérés à hauteur de 21 % quand le taux de retour des écrans et téléviseurs monte à 72 %, taux qui, certes, bénéficie de la rupture technologique entre le cathodique et le LCD.

Vers la reprise “ un pour zéro ”

Les téléphones mobiles, en particulier, échappent quasi totalement à la filière : seuls 5 % seraient récupérés selon Eco-Systèmes. “ Le renouvellement arrive généralement avant la fin de vie de l’appareil. Résultat : les gens ont tendance à les conserver au fond d’un tiroir pendant des années, jusqu’au jour où ils partent directement à la poubelle ”, analyse Stéphane Bernhard, de la CLCV.La récupération de ces petits appareils est sans aucun doute un axe majeur de développement si la filière veut atteindre ses nouveaux objectifs. Pour cela, la principale piste réside dans la généralisation de la reprise sans condition, aussi appelée “ un pour zéro ” en opposition avec la reprise “ un pour un ”, à laquelle les distributeurs sont légalement tenus. Le principe est simple : mettre en place, dans les magasins, des points de collecte où les clients peuvent déposer tous leurs petits DEEE sans condition. “ Le “ un pour zéro ”, souligne Véronique Poirier chez Eco-Systèmes, beaucoup le faisaient déjà sans le dire, mais maintenant ils l’affichent. ” Après une première expérimentation en 2010, l’éco-organisme prévoit d’installer 3 800 espaces de collectes estampillés “ Ici, je recycle ”, constitués de bacs sélectifs verts (forcément) pour accueillir petits appareils, piles, et batteries, cartouches d’imprimantes, etc., associés à une signalétique explicative, de quoi faire d’une pierre deux coups : collecter et informer.La multiplication des lieux de collecte ne passe pas uniquement par l’équipement des distributeurs. “ Il faut trouver des solutions en milieu urbain dense, explique notamment Jean-Charles Caudron, de l’Ademe. Il y a par exemple des expérimentations dans certains immeubles HLM : l’organisme équipe un local supplémentaire, gardienné pour éviter le vol ; lorsque le local est plein, l’éco-organisme vient récupérer les déchets. ” Un peu partout, des gisements de progression sont présents : les départements d’outre-mer, par exemple, sont encore au tout premier stade du développement de la filière ? à l’exception de la Guadeloupe, qui a atteint en 2009 les 4 kg/habitant/an.

L’avenir dans l’éco-conception

Reste que cette stricte approche comptable – le nombre de kilos collectés – ne doit pas cacher la nature qualitative du devenir des produits électroniques et électriques. Le taux de réutilisation et de recyclage des “ équipements informatiques et de télécommunications ” collectés atteint, selon l’Ademe, les 80 % ; un bon chiffre, mais encore perfectible. À la CLCV et dans d’autres associations, on milite donc surtout pour l’éco-conception, c’est-à-dire la prise en compte a priori de la gestion des appareils en fin de vie, mais aussi la possibilité de réparer les produits. Et on tempête contre l’obsolescence programmée des appareils électroniques, soupçonnés de tomber en panne après 3 à 4 ans sans que les constructeurs fassent le moindre effort – c’est une litote – pour améliorer la fiabilité des produits et s’assurer qu’ils soient, sur le long terme, compatibles avec les exigences de l’environnement. Ce qui risque de rester un vœu pieux, du moins tant que le principal moteur de l’économie mondiale restera la consommation…

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Bruno Mathé