Lorsque Jean-Marie Messier, président de Vivendi Universal déclare : “Ma philosophie personnelle m’incitera toujours à être un adepte de la diversité” (*), on ne peut qu’être partagé entre vigilance et espérance. Vigilance à l’égard du phénomène de concentration dans lequel sont engagés les cinq majors du disque (BMG, Sony, AOL-Time Warner, Vivendi Universal, EMI) à l’occasion de leur voyage vers la nébuleuse internet ; espérance dès lors que la notion même de diversité est inscrite dans les propos du patron de Vivendi Universal. Jean-Marie Messier reconnaît là, implicitement, l’importance du rôle joué par des milliers de labels indépendants à travers le monde, aussi bien que la qualité de leur catalogue.
Stars des “indé”
Le sait-on ? D’innombrables têtes d’affiche de la musique sont aujourd’hui produites par les ” indé “. En France, Louise Attaque, Francis Cabrel, Laurent Garnier, Pink-Martini, Jean-Michel Jarre, Miossec ou Matmatah ont snobé les majors. Tout comme Tricky, Peter Gabriel, Moby, les Tindersticks, Depeche Mode ou Nick Cave l’ont fait à l’étranger. Le net représente pour ces artistes une formidable opportunité : celle de contrôler directement la promotion de leurs ?”uvres ou la gestion de leurs droits. Il offre aussi aux ” indé ” une vitrine ouverte sur le monde, crée une passerelle entre l’artiste et son label. Mais rares sont ceux qui peuvent se payer le luxe de rivaliser avec les grandes maisons d’édition musicale dès lors que l’on parle logistique et distribution. C’est la raison pour laquelle la plupart de ces labels ont passé des accords, soit avec d’autres distributeurs indépendants, soit avec les géants du disque pour apparaître dans les linéaires. C’est toujours pour cette même raison que les producteurs ” indés ” devront, demain, négocier et passer des accords avec d’autres entités s’ils veulent figurer sur l’écran d’un terminal mobile ou celui d’un ordinateur de bureau.
Impala contre les géants
Là comme ailleurs, les plus puissants d’entre eux prennent une longueur d’avance. Premier label mondial indépendant, Zomba Records abrite notamment la star américaine Britney Spears. Ce groupe de production propose depuis la fin de l’année dernière plus de 120 titres ainsi que plusieurs albums en téléchargement payant dans le cadre d’un partenariat avec Reciprocal Music (gestion des droits), Amplified.com (prestations techniques) et Liquid Audio (réseau de distribution). “Construire un portail comme Duet [rebaptisé Pressplay] ou Music Net représente un investissement très lourd, et ce n’est pas notre rôle“, concède Jean-Luc Marre, directeur de promotion chez Pias, le premier distributeur indépendant en Europe. En fait, l’arrivée de Pressplay et Music Net rend la position des distributeurs indépendants bien plus difficile à tenir que celle des producteurs. “Je ne suis pas contre les “majors”, je suis contre la concentration. Là, ce n’est plus un oligopole mais un duopole “, insiste Patrick Zelnik, fondateur du label/distributeur indépendant Naïve et par ailleurs président de l’Upfi, l’Union des producteurs phonographiques indépendants.A l’évidence, la grande majorité des ” indé ” est totalement démunie face aux milliards de dollars mobilisés par les majors pour contrôler ce nouveau médium. Sur le seul marché français, ces labels se comptent par centaines. Leur chiffre d’affaires s’étale, pour les plus importants (Harmonia Mundi, Wagram, etc.), de 150 000 à 45 millions d’euros (1 à 300 millions de francs) par an. Dans ses conditions, face au danger potentiel, la profession se mobilise. Installée à Bruxelles ?” lobbying oblige ?” l’association Impala, créée l’an dernier, fédère plus de 1 500 labels indépendants européens. Elle est notamment à l’origine de l’échec de la fusion entre AOL-Time Warner et EMI. Excusez du peu. Son analyse est sans appel : Pressplay et Music Net risquent d’exclure ses affiliés du marché émergent de la musique en ligne. Pour Philippe Kern, son secrétaire général, “ le marché de la distribution de la musique en ligne ne pourra représenter une opportunité pour les grands labels et pour les indépendants que si la diversité culturelle et l’accès au choix le plus large sont garantis. “
Pour survivre, l’atout diversité
Les producteurs indépendants sont donc contraints de se serrer les coudes et de jouer sur le rapport de force les opposant aux majors. Après tout, ils représentent encore au-delà de 20 % du marché mondial de la musique. En France, l’Upfi et le SPPF (Société civile des producteurs de phonogrammes en France) viennent de décider de créer une base de données sécurisée, sorte de plateforme destinée au commerce interentreprises : il s’agit de mettre la production indépendante en position optimale pour négocier ses droits auprès de tous les utilisateurs d’internet, à côté des autoroutes mises en place par les majors.“Cette entité a comme fonction de gérer collectivement ce qui peut l’être, et négocier des accords cadre avec Pressplay, Music Net ou tout autre portail“, explique Patrick Zelnik. “L’atout des “indé”, c’est la diversité. Il faut convaincre les “majors” que c’est leur intérêt de travailler avec les indépendants“, poursuit le président de l’Upfi. Même sentiment au sein du Snep, le Syndicat national de l’édition phonographique : “ Les “majors” ont besoin du catalogue des “indé”. Et Universal va devoir l’accepter. Les “majors” se mutileraient si elles avaient l’idée de marginaliser les producteurs “indé”. Et chaque label aura sa place dans les portails s’il a des produits qui correspondent au goût du public “, estime pour sa part Hervé Rony, directeur général du Snep.Dans le maelström d’acquisitions et de rapprochements qui ont été orchestrés par les géants de l’industrie du disque depuis le début de l’année, les organismes de représentation des labels indépendants français entendent bien se distinguer et promouvoir leurs catalogues. La SPPF, créée par les ” indés ” pour répartir leurs droits, discute avec ceux qui, hier encore, étaient traînés en justice par les majors : “ Nous sommes en négociation avec Napster et nous souhaiterions également figurer sur la plateforme MP3.com. Mais il faut négocier un accord qui nous permettra d’être présents dans le cadre dune solution sécu- risée et payante“, confie Jérôme Roger, directeur général du SPPF.
(*) Le Monde daté du 9 avril 2001
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