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Les incubateurs font les yeux doux aux grandes entreprises

Les grands groupes traditionnels pourraient utiliser les compétences de leurs DSI pour investir dans les nouvelles technologies.

Encensés hier, critiqués aujourd’hui, les incubateurs sont dans une mauvaise passe. Leurs finances sont au plus bas, et les projets qu’ils accompagnent sont devenus incertains. Du coup, ils font les yeux doux aux entreprises traditionnelles, industriels et grands noms du service. De nombreux signaux sont visibles. A commencer par Kangaroo Village, qui vient de créer un club des responsables internet des grandes entreprises afin de “réfléchir aux problématiques liées au web”. L’incubateur a réuni trente-cinq membres prestigieux, tels Air France, Carrefour, EDF, Lafarge, ou la Société Générale. Ou encore Coach Invest, qui a choisi d’impliquer davantage ses cinquante-quatre actionnaires, PDG et DG de Coca-Cola Company, Primagaz ou Procter & Gamble, dans le choix et l’accompagnement de ses jeunes pousses. Sans oublier VenturePark ou GorillaPark, qui voient avec bonheur respectivement DaimlerChrysler et Cable & Wireless apporter leurs capitaux.De l’autre côté – celui des entreprises traditionnelles -, on s’organise. Des associations se créent, comme Diese (Développement de l’initiative et de l’entrepreneuriat chez les salariés des entreprises). Le but est le même : favoriser le potentiel de projets internet existant dans les grandes entreprises. Là aussi, il y a du beau monde ! La Poste, Schneider Electric, ou – de nouveau – Air France en font partie. Du coup, le monde de l’incubation est en pleine ébullition.La soixantaine d’incubateurs privés et publics qui ont vu le jour depuis l’été 1999 visaient le même objectif : accompagner les start up et accélérer leur développement en prenant, au passage, de 10 à 50 % de leur capital. Depuis le printemps dernier, l’éclatement de la bulle spéculative a remis sérieusement en cause ce modèle de fonctionnement indépendant. “L’incubation est un processus d’accompagnement du développement d’une entreprise en création ou créée, qui se traduit par la mise à disposition d’un environnement de travail et/ou de services diversifiés émanant d’une structure spécialisée”, définit Claudine Schmuck, directrice de Global Contact. Cette société de conseil vient d’organiser le premier congrès des incubateurs en France. En pratique, le métier a été inventé par des structures publiques. Depuis plus de dix ans, les technopoles, les plates-formes d’initiative locale, les pépinières ou les centres européens d’entreprise et d’innovation ont montré la voie. Ainsi, le portail web Nomade s’est développé dans une pépinière parisienne bien avant que le mot incubateur ne se popularise. A l’époque, “beaucoup d’entre nous faisaient de l’incubation sans le savoir”, s’amuse Frédéric Epaulard, en charge des nouvelles technologies à Paris Développement, un incubateur public créé en 1998.Depuis, avec le boom de la net économie, le privé s’est rué sur le filon. Ces incubateurs de type libéral appartiennent à trois familles, en fonction de leur origine. D’abord, les ” entrepreneuriaux “, créés par des hommes d’affaires ou d’anciens cadres de grandes entreprises. Ils fournissent des moyens matériels et ne se distinguent pas vraiment d’une simple pépinière. La majorité d’entre eux a une approche globale : “Un incubateur, c’est avant tout une structure qui sait dénicher les bons projets et les accompagner”, avoue Philippe Hayat, créateur de Kangaroo Village.Ensuite, viennent les incubateurs financiers, créés généralement par des sociétés de capital-risque, voire des business angels. Ils jouent un rôle plus important au niveau du fonds d’amorçage : “Nous offrons 500 000 euros cash et 2,5 millions d’euros en prestations sur deux ans en échange de 25 % des parts de la société”, revendique Jean-Emmanuel Rodocanachi, directeur général de GorillaPark France.Enfin, les plus discrets, les incubateurs stratégiques, sont issus de sociétés de conseil ou de grandes entreprises. Déclinaison des stratégies de ” corporate venturing “, ils sont en train de prendre la main dans le monde de l’incubation : PriceLab pour PricewaterhouseCoopers ; BainLab pour Bain & Company ; Chrysalead pour Danone ; @viso, la filiale de Vivendi et de Softbank ; SgeProjects, issu de la Société Générale. A eux seuls, ils ont déjà investi plusieurs centaines de millions d’euros dans des start up internet. Ces ” filiales ” n’ont pas seulement un but lucratif. “Notre incubateur nous permet également de valoriser nos prestations ou de comprendre ce qui se passe dans la net économie. Et aussi de retenir nos cadres attirés par la création d’entreprise”, confie Nicolas Buhler, de PricewaterhouseCoopers.Toutes ces structures sont aujourd’hui sur la sellette. Dans l’eu- phorie des débuts de la net économie, les esprits avaient oublié que les incubateurs privés – des sociétés dont les seuls actifs sont d’autres start up – étaient, elles aussi, des jeunes pousses ! Résultat : leur équilibre financier, fondé sur l’introduction en Bourse ou le rachat de jeunes pousses, ne tient plus la route. @viso, l’un des premiers incubateurs créés en Europe, vient d’annoncer le gel de ses développements. Republic Alley ou Kangaroo Village se replient sur leurs start up de base en attendant une amélioration du marché. D’autres s’apprêtent à changer de métier. “Il va y avoir de la casse au niveau des incubateurs, et c’est une bonne chose !” prédit Vargha Moayed, directeur général de VenturePark. Mais, pour trouver de l’argent, “les financiers n’ont jamais été aussi décevants que maintenant, et ils se méfient de nous”, se désole Philippe Hayat, de Kangaroo Village.Pour tous, le soutien des grands groupes de l’industrie et du service est devenu une véritable planche de salut. Décriées pour leur immobilisme pendant la fièvre passée, brocardées pour leur retard à se mettre au commerce électronique, les sociétés ” traditionnelles ” tiennent leur revanche. Faisant appel aux compétences technologiques de leurs directeurs des systèmes d’information, elles sont en passe de racheter à bas prix les incubateurs et les start up les plus en pointe. Et, pour mieux les séduire, les incubateurs adaptent leur discours. “Nous partons désormais sur des cycles d’investissement de trois à cinq ans, contre un à deux ans il y a peu. Et nous envisageons des sorties par des fusions/ acquisitions plutôt que par des introductions en Bourse”, clame Jean-Emmanuel Rodocanachi. Même justification chez Alain Levy, coprésident de Start up Avenue, pour qui “les incubateurs correspondent à un véritable besoin du marché avec leur expertise du secteur”. Reste à espérer que la planche de salut des sociétés traditionnelles ne soit pas savonnée d’avance.

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Jean Robert