Tant aux États-Unis qu’en Europe, la politique économique repose sur la baisse des impôts. La réduction des prélèvements obligatoires est devenue une sorte de nouveau commandement. S’il est compréhensible que la population souhaite payer le moins d’impôt possible, elle est également demandeuse de services publics efficaces, et donc de dépenses publiques. Conscients de ce dilemme, les gouvernements fondent la réduction des taux d’imposition sur la célèbre courbe de Laffer(*) : en modifiant la législation fiscale, l’État libérerait des énergies nouvelles et accroîtrait ainsi son PIB. Accroissement de richesse, dont bénéficie non seulement la population, mais encore l’État qui, en fin de compte, a plus de recettes. Or, l’expérience a montré que ce schéma ne marchait pas. Les États, immédiatement privés de rentrées fiscales, voient leur déficit augmenter. Se met en place un enchaînement, naguère décrit par Ricardo, d’équivalence économique globale entre déficit et impôt : les ménages, disposant de ressources supplémentaires, souscrivent les emprunts que l’État est obligé d’émettre pour financer son déficit. Au final, l’État et les ménages dépensent la même chose. Ce n’est pas l’état économique d’ensemble qui change, mais le taux d’épargne des ménages et symétriquement le niveau d’endettement public.L’Allemagne avec un déficit public de 2,7 % du PIB et sa croissance molle, la France avec 1,9 % de déficit, comme les États-Unis où les excédents publics ont fondu sans résultat probant, semblent victimes de cette situation pernicieuse. Les idées de Laffer reposent, certes, sur le constat de bon sens des limites à l’acceptation de l’impôt et sur un raisonnement mathématique imparable, établissant l’existence d’un taux optimal d’imposition qui n’est pas le taux maximal. Elles ne constituent pourtant pas un ensemble assez abouti pour fonder une politique économique.
La nécessité de réformer l’État
Avant de baisser les impôts, les dirigeants devraient s’interroger sur le niveau et le contenu des dépenses publiques à financer et sur l’impact des réductions d’impôts, notamment en termes de redistribution et de comportement des ménages. L’État ne peut se priver de ses ressources sans réfléchir. La détermination du volume des dépenses publiques est un préalable à toute réforme fiscale. En France, Laurent Fabius, après avoir amorcé une refonte des impôts, qui tient compte du fait que la France ne peut se permettre de surtaxer certains revenus, sauf à se priver de ceux qui les perçoivent, rappelle fort pertinemment à sa majorité que, si elle est reconduite, elle devra se pencher sur une réforme de l’État, qui ne se limite pas à des incantations rapidement tournées en ridicule par l’inertie et les crispations.Aux États-Unis, les démocrates, qui bloquent les baisses d’impôt voulues par le président Bush, ne demandent pas autre chose : montrés du doigt par les républicains pour refuser de rendre aux contribuables le fruit de leur travail, ils appuient ce refus sur la nécessaire mise en cohérence des recettes fiscales et des dépenses. L’État doit d’autant plus identifier ses missions que la privatisation brutale ne dégage pas sa responsabilité, y compris financière, de la gestion de certains dossiers. C’est un des enseignements des faillites d’Enron et des chemins de fer anglais. Même gérées par des opérateurs privés, certaines activités comme le transport collectif ou la distribution d’énergie sont déficitaires, et il appartient à l’État de leur fournir les moyens de survivre car elles sont globalement utiles. Il convient maintenant moins de réduire les impôts que de définir le nouveau périmètre public.(*) Du nom de l’économiste américain Arthur Laffer. Cette courbe vise à expliquer les relations entre le taux de l’impôt et le montant des recettes fiscales.** professeur à lESCP-EAP
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