Apple, Google, Microsoft, Amazon et les autres le promettent, le crient, l’écrivent, enthousiastes, incessants. Tous ces géants de la tech veulent notre bien, nous faciliter la vie, la rendre plus productive – même si nos quotidiens le sont déjà bien assez, nous aider à être plus créatifs, libres, heureux. Quoi que vous cherchiez, il y a une application pour ça.
A coups de produits utiles ou futiles, de discours mercatiques et d’innovations technologiques, ils offrent des produits qui structurent voire envahissent nos vies et ouvrent des portes qui étaient jusque-là scellées ou inexistantes.
D’une certaine manière, on serait tenté de penser qu’ils deviennent la nouvelle incarnation du bien public, de la voix/e raisonnée. Des entités supra étatiques, qu’on pourrait trop vite croire neutres, dégagées des contraintes politiques et donc bienveillantes, derniers remparts contre les dérives du monde.
Et pourtant il suffit parfois d’une application, d’un jaillissement démocratique, d’une insurrection populaire pour comprendre les limites vertigineuses de ce discours de façade.
Apple retire une application qui aidait les manifestants, supprime un drapeau-émoticône qui fâche, Google n’est pas loin derrière, tandis qu’Amazon offre ses technologies de reconnaissance faciale à toutes les tentations d’Etat policier. En bordure extérieure de ce monde technocentrique, Blizzard, éditeur de jeux respecté jusqu’à présent, censure, bannit et déclasse un e-champion favorable aux manifestants à Hong Kong. Et presque toujours, en arrière-plan, le poids glaçant de l’Etat chinois.
Ces actes, aux antipodes des belles paroles habituelles, décrédibilisent non seulement la cohérence des valeurs que ces géants sont censés porter mais aussi la réalité de leur promesse originelle, faciliter nos vies pour qu’elles soient meilleures et plus justes.
Pour des entreprises nées dans le pays des Hommes libres, dans la contrée de Thoreau, cet agenouillement devant l’autorité tyrannique d’un régime, qui conjugue le pire de deux mondes, est l’aveu de leur petitesse. Apple et les autres ont la vue bien courte. Pour ne pas perdre un marché – quand bien même ce serait celui au plus gros potentiel, elles plient, ploient, se cachent derrière le respect de lois locales qui bafouent les libertés, elles montrent que leurs valeurs qu’on a cru inébranlables face au FBI ne sont qu’un autre argument marketing qu’on sert à ceux qui veulent y croire encore. Leurs contorsions controuvées pour se justifier, autant que leur abandon du combat, finissent de dévoiler le jeu de dupe.
Et c’est un gros risque que ces entreprises prennent, car à vouloir garder à portée de ligne comptable un marché de consommateurs prisonniers d’un État autoritaire, elles risquent d’effrayer, d’agacer ou d’offrir une épiphanie aux citoyens-consommateurs des pays et marchés où il est encore possible de s’informer et de s’offusquer ouvertement.
Car l’utilisateur qui a la chance de vivre dans un pays encore démocratique peut sans trop se forcer imaginer ce que deviendra son outil quotidien quand il devra lui servir à autre chose qu’à aligner des sucreries dans un jeu médiocre mais addictif ou poster son nouveau dessert sur les réseaux sociaux.
Que se passera-t-il si, en France, un régime non démocratique prend le pouvoir et établit des lois iniques ? Que deviendraient nos libertés et surtout à quoi nous serviraient nos outils préférés de communication ? À rien, ils seraient muets et ce serait une trahison contre laquelle nous serions désarmés.
Les plus blasés ou clairvoyants, ceux qui n’auront pas confondu beaux produits et beaux discours, diront immanquablement qu’après tout, c’est le jeu de la réalité d’une entreprise condamnée à être rentable ou à disparaître. Certes, mais quand une entreprise pèse près de mille milliards de dollars et prétend embellir le monde, épouser de justes causes écologiques et défendre l’avenir de tous, ne doit-elle pas aussi aider à préserver nos libertés ? Et si la question des Libertés est épineuse et difficile à cadrer, si la définition de l’un n’est pas celle de l’autre, peut-être suffirait-il de se reporter à l’existant, à l’Universel.
Mais, ne nous le cachons pas, on avait déjà compris ou craignait que ces positions n’étaient que des beaux discours, en constatant les échafaudages légaux construits pour esquiver l’impôt, premier socle commun d’une société où les gens vivent mieux ensemble.
En définitive, on est en droit de penser, malgré tous leurs efforts, que seule pèse à leurs yeux leur cotation boursière, ces valeurs qui rentrent si commodément dans un tableau Excel.
Peut-être est-il temps que ces géants se rappellent que ce qu’ils prennent pour une option, un luxe, dont ils peuvent se délester quand leurs affaires l’exigent, sont des droits universels et fondamentaux, les seules valeurs qui comptent. Ce sans quoi ils n’auront plus leur place dans nos vies.
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