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Les Français en bonne place dans l’industrie mondiale du jeu vidéo

Après avoir longtemps laissé le terrain libre aux Japonais et aux Américains, les développeurs et éditeurs hexagonaux prennent une importance grandissante dans l’industrie mondiale du jeu vidéo. Un succès dû à une stratégie tournée vers l’international et à des structures de conception plus adaptées. Le français pourrait bien devenir ainsi la langue officielle des jeux vidéo.

Le mois dernier, à E3, la plus grande manifestation mondiale consacrée aux jeux vidéo à Los Angeles, Sony, Sega, Nintendo et Microsoft présentaient bruyamment leurs nouvelles générations de consoles Playstation, Dreamcast, et la future xBox. Une multitude de sociétés rivalisaient d’effets spéciaux, sonores, lumineux, ou encore d’hôtesses aussi charmantes que peu vêtues pour inciter les visiteurs à s’intéresser et à se plonger pour quelques instants dans l’univers de leurs derniers jeux vidéo. La France y était plutôt bien représentée. Infogrammes, Havas Interactive et UbiSoft sont, en quelques années, devenus des noms importants dans cette industrie. Ils rivalisent aujourd’hui sur leur terrain avec les Electronic Arts (EA), Eidos et Acclaim. Leur succès est cependant passé par l’internationalisation de leurs stratégies et de leurs structures. Et, surtout, ils ont renouvelé leurs méthodes de travail. En quelques années, les artistes créateurs se sont intégrés dans les organigrammes de sociétés de plus en plus structurées : il faut aujourd’hui une équipe de vingt à trente personnes hautement qualifiées pour développer un jeu à succès. Des jeux comme Donjons et Dragons, par exemple, font maintenant appel aux dernières technologies et sont déclinés sur plusieurs supports. Les créateurs comme les développeurs doivent être en mesure de comprendre et de travailler avec les spécialistes de ces technologies. Enfin, comme dans tout phénomène de masse, le marketing est devenu roi, laissant place à de nouvelles fonctions de producteur.

Une entrée en jeu progressive des Français

Il y a vingt ans, il suffisait d’être un peu programmeur, de passer des nuits devant son ordinateur avec quelques bonnes idées bien délirantes pour créer un jeu vidéo à succès. La France n’avait pas, jusqu’à présent, joué un rôle très important dans la création et la vente des jeux vidéo – et ce malgré quelques incitations ” nationales ” malheureuses, comme celles du Thomson TO7. Elle avait finalement laissé les joueurs français aux prises avec des consoles japonaises et des jeux développés en majorité dans des cultures étrangères. Les ingénieurs français, réputés pour leurs capacités à développer de bons logiciels, étaient plutôt réticents à se diriger vers cette discipline considérée comme ” pas assez noble ” dans les grandes écoles et les universités. Ils préféraient s’orienter vers les logiciels de gestion ou les développements systèmes ou télécoms. Les Etats-Unis et le Japon sont ainsi devenus les deux plus grandes puissances en matière de jeux vidéo. Et c’est dans ces pays qu’ont été développés les plus grands succès commerciaux sur console et sur PC. Depuis quelques années toutefois, les choses s’inversent, et les Français commencent à poser sérieusement leurs marques.

Pour réussir, un impératif : être joueur

Ce mouvement a débuté par des expériences personnelles. Philippe Tarbouriech, par exemple, a développé pendant près de dix ans des jeux chez Electronic Arts (voir l’interview de Luc Barthelet, vice-président d’EA). Il était arrivé dans la Silicon Valley pour travailler sur Xanadu, l’ancêtre du Web développé par Ted Nelson, le père de l’hypertexte : “J’ai fait une école d’ingénieurs, la NCA, à Cergy-Pontoise. Puis, en 1990, je suis parti avec une société qui avait répondu à l’appel d’offres de la Bibliothèque de France. J’ai ensuite travaillé dans plusieurs entreprises, dont Xanadu à Palo Alto, en Californie.” Au bout de neuf mois sur place, il cherche un autre emploi. Cinq offres lui sont proposées. Pour faire son choix, il établit une séparation entre les sociétés détentrices d’une technologie pointue et cherchant à élargir leur marché, et celles qui ont ciblé un marché bien précis mais utilisent n’importe quelle technologie. “La deuxième catégorie était celle où je pouvais apprendre le plus en matière de technologie. Chez Electronic Arts, on m’a demandé de développer un modèle de simulation d’une balle de golf. J’avais un Macintosh à la maison, et j’ai travaillé dessus pendant huit ou dix jours. Je n’avais jamais fait de 3D, mais je m’y suis mis, et ça leur a plu. J’ai été embauché comme programmeur. Quelques semaines plus tard, je suis passé sur un simulateur de vol qui allait devenir ShockWave, un jeu qu’EA préparait pour 3DO. J’ai trouvé pas mal d’astuces pour accélérer les logiciels sur 3DO. Nous aidions même les ingénieurs de 3DO à dessiner la carte graphique de la machine.”En revanche, il est indispensable de tenir les délais : “Il faut travailler comme un malade. Des contraintes très violentes s’exercent, car un jeu doit, en général, sortir avant No’l.” Au-delà de la créativité et de l’originalité, ainsi que du professionnalisme et des capacités d’industrialisation de l’entreprise éditrice, un charisme tout particulier est indispensable pour réussir aujourd’hui dans cette industrie : un bon producteur de jeux vidéo est aussi quelqu’un dont le mode de vie fait rêver. John Carmack, le développeur de Doom, est connu pour sa collection de Ferrari et son goût pour la vitesse. Paul Grace, l’homme de la division des jeux de simulation de combats en vol chez Electronic Arts, pilote, lui, des Mig et des jets militaires.
En 1997, UbiSoft entre en scène. L’éditeur français ouvre un studio de développement à Montréal. Aujourd’hui, les jeux conçus par UbiSoft outre-Atlantique représentent déjà 25 % de ses revenus. Pour Sabine Hamelin, présidente et chef de la direction d’UbiSoft Divertissements à Montréal, la création du studio américain était l’une des conditions sine qua non de l’internationalisation de l’entreprise tout entière. “Montréal est un véritable centre de ressources, ajoute-t-elle. Cette ville a, en effet, su attirer des écoles spécialisées et des sociétés avec lesquelles nous travaillons. Nous avons embauché quatre cents personnes en dix-huit mois.” Contrairement à la structuration classique d’une équipe autour d’un jeu, le studio a mis en place une structure par spécialités. Coexistent des équipes de ” game designers “, d’infographistes, d’informaticiens, de chercheurs développant des nouvelles technologies, des spécialistes de l’audio, et des testeurs. Le chef de projet assure la coordination entre toutes ces équipes. Il doit répondre aux impératifs technologiques et créatifs tout en faisant respecter les consignes marketing du groupe qui ont été déterminées au moment du design d’une maquette. La maquette est d’abord testée au sein de groupes d’experts, puis elle est mise en production. Cette structure a été d’autant plus facile à mettre en place que, au départ, UbiSoft recourait, en grande partie, à des équipes extérieures. On ne parle pas volontiers de salaires chez UbiSoft, pour éviter les mauvaises comparaisons. Toutefois, Sabine Hamelin précise qu’ils se situent au niveau de la concurrence. Et elle insiste sur la culture d’entreprise très forte. Aujourd’hui, outre les idées originales développées en interne (les Speed Busters et Speed Devils), UbiSoft passe des accords de licence avec Disney et Warner pour Tarzan, Donald, le Livre de la Jungle et un jeu de course de voitures.

Une industrie proche de celle du cinéma

Ce métier d’éditeur de jeux vidéo est en pleine évolution depuis que ceux-ci sont entrés dans un mode de production de grande consommation. “Il y a toute une génération de producteurs qui ont été élevés à la graine de technologie, explique Francois Lourdin, Senior Producer chez Infogrames à San Jose, en Californie. Une très bonne connaissance des technologies était en effet impérative pour lever au mieux les contraintes de production. Il fallait développer en temps voulu.”Cependant, d’après lui, ” le garage ” a pris des étages, et le rôle du producteur devient de moins en moins technique au profit du marketing et du management. “On me demande maintenant de créer des franchises, poursuit-il. C’est-à-dire un jeu qui réussisse, mais dont la marque et les actifs puissent être étendues horizontalement sur d’autres plates-formes, ou verticalement sur d’autres médias, comme les jeux, le cinéma ou Internet.” Un jeune producteur sera particulièrement recherché pour faire la révolution, renouveler le style ou créer une nouvelle expérience. Un producteur plus âgé sera, lui, utilisé dans des situations où une bonne compréhension du marché amont est nécessaire.
Cette connaissance des évolutions du marché est devenue impérative, car de plus en plus d’éditeurs utilisent des moteurs de jeu clés en main, spécialisés dans certains types de jeux. Ces moteurs sont vendus par des sociétés comme Epic, ID Software, Legend, ou Kalisto en France. Le rôle de l’équipe de développement est alors d’habiller le moteur d’un design, d’un scénario, des personnages et d’un environnement. “Cela change complètement le travail des programmeurs et des artistes, poursuit-il. Le producteur devient un véritable chef d’orchestre. C’est aussi lui qui assume une bonne partie du risque, comme au cinéma.”

Un phénomène de société

Doug Lowenstein, président de l’ISDA (Interactive Digital Software Association), qui regroupe les fabricants et développeurs de jeux vidéo, précise : “En 1999, l’industrie des jeux vidéo, jeux sur PC et jeux sur Internet générait 6,1 milliards de dollars de revenus aux seuls Etats-Unis. Presque autant que toutes les recettes des salles de cinéma dans ce pays la même année.” Longtemps considérée comme une activité de gamins solitaires et d’asociaux, la pratique des jeux vidéo est devenue un véritable phénomène social. En effet, selon une enquête réalisée par Peter Hart Research Associates, 145 millions d’Américains de plus de six ans, soit 60 % de la population, avouent jouer régulièrement à des jeux sur PC ou sur console vidéo. L’étendue du phénomène appara”t clairement à travers ces quelques chiffres plus précis : 43 % des joueurs sont des femmes ; 70 % d’entre eux ont plus de dix-huit ans ; 42 % ont plus de trente-cinq ans ; et la majorité joue en famille ou entre amis.
Enfin, 35 % de la population américaine pensent que cette activité est, de loin, la plus distrayante. Ils ne sont que 18 % à préférer la télévision, et 11 % le cinéma

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Alain Baritault