“Je suis sûr qu’aujourd’hui, je pourrais trouver une Porsche pour moins de 10 000 dollars [11 170 euros, ndlr]. ” Cette remarque, émanant d’un analyste financier, reflète bien l’inquiétude qui pèse sur les valeurs des technologies de l’information et de la communication, et plus particulièrement sur les télécoms. Le coup de semonce est venu de Cisco, l’équipementier télécoms et internet qui, le 16 avril dernier, a lancé un avertissement sur les résultats du troisième trimestre, attendus pour la fin du mois, et du dernier trimestre de son exercice. Cisco traduit à lui seul la baisse de la croissance américaine et la forte diminution des investissements des entreprises. Malgré la baisse des taux d’un demi-point de la Réserve fédérale pour redonner confiance aux marchés et aux ménages, beaucoup redoutent un effet boule de neige. Pour André Chassagnol, analyste chez IC Bourse, le pire est encore à venir, en tout cas aux États-Unis. Selon lui, l’économie américaine n’a jamais atterri en douceur, et les corrections sont tout aussi rapides que les reprises. La logique est implacable : “Lorsque les entreprises commencent à réduire leurs investissements, elles sollicitent moins les opérateurs de télécoms qui, à leur tour, reportent ou annulent leurs commandes auprès des équipementiers “.
Surpris par la crise
Cisco, qui dépend à près de 60 % du marché des entreprises, anticipe une baisse de 30 % de son chiffre d’affaires pour le troisième trimestre et un résultat par action en deçà de la fourchette comprise entre 0 et 10 cents prévue par John Chambers, président du groupe. L’effet est immédiat sur les effectifs, l’un des premiers postes touchés par les mesures d’économies : 8 500 suppressions de postes sont prévues. L’équipementier va provisionner entre 800 millions et 1,2 milliard de dollars au titre de la réduction des effectifs et 2,5 milliards de dollars seront affectés à la réduction des stocks. Cisco, qui se targue pourtant de tenir une gestion quasi-instantanée de ses comptes, s’est laissé surprendre, lui aussi, par l’ampleur de la crise. “La demande a constamment excédé nos prévisions durant la quasi-totalité de l’année 2000. Et pour nous efforcer de répondre aux attentes de nos clients, nous avons continué à accroître nos stocks et nos capacités de production […] Cette provision reflète la baisse récente, importante et inattendue de la demande“, a expliqué Larry Carter, directeur financier. Autre effet de la baisse de la croissance, l’accélération de la consolidation du marché des opérateurs qui frappe de plein fouet les nouveaux entrants.Les grands équipementiers traditionnels, comme Nortel et Lucent, sont aussi de la partie. Ils évoquent sur le même ton les retombées de la crise américaine, les annonces de suppressions de postes et les avertissements sur les résultats. Nortel va supprimer 5 000 postes supplémentaires, qui viennent s’ajouter aux 15 000 annoncés en février. Derrière ces équipementiers, ce sont également les fournisseurs de composants qui commencent à montrer des signes manifestes de faiblesse.Cette réaction en chaîne, qui touche la filière télécoms américaine, commence à se faire sentir en Europe. “Beaucoup d’équipementiers nous font part d’arrêt de commandes ou, dans le meilleur des cas, de reports“, indique André Chassagnol. Chez Alcatel, on anticipe pour les prochains mois une baisse de 10 % à 20 % des investissements des opérateurs en Europe. Sur le seul territoire français, Jean-Charles Doineau, en charge du secteur des équipementiers à l’Idate (Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe) prévoit une diminution moyenne de 17 % entre mi-2001 et mi-2002. Les analystes crédit de la Société Générale conseillent même aux investisseurs de ” sous-pondérer ” le secteur.Selon plusieurs spécialistes, la baisse de la croissance américaine n’est pas, loin s’en faut, le premier responsable de ce début de crise qui contamine le Vieux Continent. La société de gestion d’actifs IT Technologies Investissement identifie trois responsables : ” l’effet dot-com “, ces sociétés internet asphyxiées financièrement depuis mars 2000 ; ” les excès des opérateurs de télécommunications “, notamment des nouveaux entrants qui ont trouvé facilement des financements auprès des banques ou des équipementiers ; enfin ” le gâchis européen dans le mobile “, imputable aux montants prohibitifs demandés aux opérateurs par les gouvernements pour l’obtention d’une licence de troisième génération (UMTS).
En Europe, le gâchis UMTS
Ajoutons à cela les incertitudes technologiques et commerciales de l’UMTS, qui “a créé un problème financier majeur en Europe, constate Carlo D’Asaro, CEO de la société de consulting KPMG. Un besoin de financement élevé a coïncidé avec moins de disponibilité financière “. La nécessité pour les grands opérateurs de se désendetter touche même les investissements consacrés à l’entretien ou au développement des réseaux GSM, s’alarme le dirigeant d’un grand équipementier. Et ce dernier de regretter que les nouveaux entrants et la téléphonie mobile de troisième génération se résument, aujourd’hui, à un simple rendez-vous manqué avec la croissance.Les effets les plus spectaculaires de ce contre-temps ont été produits par Ericsson et Philips. Les groupes suédois et néerlandais sont marqués par la forte baisse des ventes de terminaux mobiles qui se traduit par des stocks compris entre 20 et 40 millions d’unités, selon les estimations. Ericsson a annoncé le 20 avril dernier la suppression de 12 000 postes et des pertes de 639,1 millions d’euros sur le premier trimestre pour sa seule division mobile. Cumulant les déboires et les faibles perspectives de rebond avec seulement 10 % du marché mondial des terminaux, le Suédois va regrouper son activité avec celle de Sony. De son côté, Philips a officialisé la suppression de 6 000 à 7 000 postes après un résultat net en chute de 91 % sur le premier trimestre et pour l’ensemble du groupe.La réaction rapide et brutale des équipementiers et la consolidation des opérateurs ne suffiront peut-être pas à redresser la situation et à enrayer la crise sur les six prochains mois.
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