Vendredi dernier, un coup de tonnerre a ébranlé l’affaire des trolls russes et de leur implication dans l’élection présidentielle de 2016. La justice américaine a inculpé 13 Russes, dont un proche de Vladimir Poutine, pour avoir organisé une vaste campagne de propagande, financée à coups de millions de dollars. L’acte d’accusation, très riche en informations, permet d’avoir une idée beaucoup plus précise de l’organisation et du mode opératoire des trolls russes. Voici les principaux éléments.
Une hiérarchie quasi-militaire
La campagne a démarré en avril 2014 sous le nom de code « Translator project ». Elle était dirigée par une société basée à Saint-Pétersbourg baptisée « Agence de Recherche sur Internet » (ARI) et financée par Evguéni Prigojine, un proche du président russe Vladimir Poutine. Elle serait liée aux services de renseignement russes. Parmi les 13 inculpés, M. Prigojine est le seul qui ne travaille pas directement dans l’ARI. C’est en quelque sorte le parrain fondateur de l’organisation. Les douze autres regroupent les principaux directeurs et certains postes subalternes représentatifs.
Ainsi, il y a un directeur général qui dirige l’activité, un directeur exécutif qui s’occupe de son fonctionnement opérationnel, une directrice en charge de la collecte d’informations et un directeur de l’informatique. Concernant plus spécifiquement le projet Translator, l’acte d’inculpation cite deux chefs de projet et leur adjoint, une responsable de l’analyse de données, un analyste en charge d’éplucher les réseaux sociaux, un chef d’équipe en charge de la création de faux contenus et deux opérateurs de comptes de réseaux sociaux.
Des faux comptes pour diffuser de l’intox
Selon l’acte d’accusation, l’idée générale de cette campagne de propagande a été d’attiser les polémiques et de multiplier les sujets clivants, tout en soutenant certains candidats à l’élection présidentielle (Donald Trump, Bernie Sanders) et en desservant d’autres (Hillary Clinton, Ted Cruz, Marco Rubio). Il fallait créer « une intensité politique en soutenant des groupes radicaux, des utilisateurs mécontents de la situation économique et sociale et des mouvements sociaux d’opposition ». Ainsi, l’ARI aurait créé des pages, parfois rivales, sur Facebook et Instagram consacrées aux relations raciales (« Blacktivistes »), à l’immigration (« Frontières sécurisées ») et à la religion (« Musulmans unis d’Amérique » et « L’armée de Jésus ») à des fins de désinformation.
Elle aurait aussi contrôlé « de nombreux » faux comptes sur Twitter et Facebook favorables à M. Trump. L’un d’eux, un compte du parti républicain du Tennessee, a ainsi diffusé une fausse information sur une enquête pour fraude électorale lors des primaires démocrates en Caroline du Nord. A partir de 2016, elle aurait largement diffusé certains mots-dièse pour influencer les tendances sur Twitter (#Trump2016 ou #Hillary4Prison). Quelques jours avant le scrutin, « Blacktivistes » avait enfin appelé à voter pour la candidate écologiste Jill Stein et « Musulmans unis d’Amérique » avait posté un message affirmant que « la plupart des musulmans refusent de voter pour Hillary Clinton ».
VPN et roulement d’équipes pour mieux se camoufler
Pour ne pas attirer l’attention des autorités, les trolls russes ont loué des serveurs aux Etats-Unis à partir desquels ils réalisaient leurs actions de propagande. Ils se connectaient à ces serveurs à l’aide de VPN. Par ailleurs, ils ouvraient des centaines de comptes e-mail sous des noms américains. Ainsi, on pouvait penser que tous ces messages étaient vraiment d’origine locale. Les opérateurs de l’ARI ont même fait attention à bien se caler sur le quotidien des Américains. Ainsi, les opérateurs « étaient divisés en équipes de jour et équipes de nuit, et devaient poster des messages en accord avec chaque fuseau horaire des Etats-Unis ». Ils disposaient également « des dates de vacances américaines » pour qu’ils puissent créer des contenus appropriés.
Duper et financer les vrais militants
En utilisant de fausses identités et des faux comptes sur les réseaux sociaux, les opérateurs de l’Agence ont contacté des groupes de soutien locaux à M. Trump pour organiser des rassemblements et recruter des militants, notamment en Floride, un Etat « charnière » finalement remporté par le républicain. Ces contacts se faisaient par e-mail ou par téléphone. L’Agence aurait également payé un sosie de Mme Clinton qui, lors d’une manifestation de West Palm Beach, a porté un uniforme de prisonnier tout en étant enfermée dans une cage transportée sur un camion. Ils lui auraient ensuite payé le voyage pour qu’elle participe, en costume de prisonnière, à une manifestation à New York ! L’Agence aurait fait la publicité et financé d’autres rassemblements après l’élection, notamment deux manifestations rivales organisées le même jour à New York et une marche anti-Trump à Charlotte. En septembre 2016, elle bénéficiait d’un budget mensuel de plus d’1,2 million de dollars pour ses opérations.
Des voies détournées pour acheter des pubs
L’Agence aurait « produit, acheté et posté » des espaces publicitaires sur la Toile « soutenant expressément le candidat Trump et s’opposant expressément à Clinton », notamment par la promotion de manifestations ou de rassemblements. Comme l’achat de publicité politique par un ressortissant étranger est interdit aux Etats-Unis, les trolls russes auraient utilisé plusieurs stratagèmes pour ne pas se faire remarquer. D’abord, ils auraient frauduleusement ouvert des comptes bancaires aux Etats-Unis et des comptes Paypal en utilisant l’identité de véritables citoyens américains. Ils auraient également ouvert des comptes Paypal en utilisant des numéros de cartes et de comptes bancaires achetés en ligne auprès de pirates. Ces numéros appartenaient, évidemment, à de vrais citoyens américains. Si nécessaire, ils étaient complétés par de faux documents d’identité. L’Agence aurait également utilisé de paiements par crypto-monnaie.
Les trolls russes savaient que le FBI étaient à leurs trousses. Le 13 septembre 2017, l’un des inculpés écrit à sa famille : « Nous sommes légèrement en crise ici au boulot : le FBI a découvert notre travail (pas une blague). Avec mes collègues, je dois donc effacer les traces ». Visiblement, ce n’était pas suffisant. De son côté, le Kremlin a tout nié en bloc. Il estime qu’il n’y a « aucune preuve substantielle » que le gouvernement russe ait tenté d’influer sur l’élection présidentielle américaine.
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