Alors que les auteurs, créateurs, scénaristes et artistes ne cessent depuis des mois de demander davantage de protection face aux systèmes d’intelligence artificielle (IA), une nouvelle est venue leur offrir un moment de répit. Elle provient d’un tribunal américain. Le 18 août dernier, ce dernier a rappelé que les créations générées par l’IA – comme les livres, les tableaux, les morceaux de musique ou les scenarii sortis de ChatGPT, Dall-E, Bard et tous leurs concurrents – ne pouvaient pas être protégées par le droit d’auteur. Ce qui signifierait a contrario que tout ce qu’une IA crée est dans le domaine public, duplicable, imitable et exploitable par tout un chacun. Les choses ne sont néanmoins pas aussi tranchées.
En théorie, en droit de la propriété intellectuelle, le droit d’auteur n’est accordé qu’aux humains. Par le passé, on a ainsi refusé de parler de droit d’auteur pour les créations d’animaux, comme cela a été jugé pour un selfie pris par un singe. La nécessité d’avoir un créateur humain est d’ailleurs bien rappelée par la juge Beryl A. Howell. La magistrate écrit, dans sa décision, que la loi sur le droit d’auteur n’a « jamais été étendue » pour « protéger les œuvres générées par de nouvelles formes de technologie fonctionnant en l’absence de toute main humaine ». De quoi était-il question ici ?
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À l’origine : une œuvre créée à 100 % par une IA
Cette affaire commence en 2018, bien avant le boom de l’IA, initié par le lancement de ChatGPT, l’agent conversationnel d’OpenAI. Cette année-là, un informaticien, Stephen Thaler, demande la protection du droit d’auteur aux États-Unis, le fameux copyright qui, outre Atlantique, nécessite de passer par une procédure pour en bénéficier. L’œuvre en question, intitulée « A Recent Entrance to Paradise », est décrite comme « créée de manière autonome par un algorithme informatique fonctionnant sur une machine », un système d’IA appelé la « Creativity Machine ».
Face à cette demande qui concerne une œuvre générée uniquement par un ordinateur, le Bureau du droit d’auteur américain prononce un rejet, expliquant que « le lien entre l’esprit humain et l’expression créative », un élément essentiel du droit d’auteur, fait ici défaut. Le propriétaire de la Creativity Machine fait alors appel, estimant que l’IA devait bien être reconnue comme auteur.
Un point de vue retoqué par la juge, qui rappelle que depuis des années, les choses sont claires. Sans participation humaine et sans auteur humain, il ne peut y avoir de droit d’auteur, rapporte la magistrate. « L’implication humaine et le contrôle créatif ultime sur l’œuvre en question sont essentiels pour conclure que le nouveau type d’œuvre relève du droit d’auteur », écrit-elle – ce qui n’est pas le cas ici.
Des futures « questions difficiles »
Si, dans cette affaire, le tribunal ne semble avoir aucun doute, le propriétaire de la machine ayant déclaré qu’il n’avait joué aucun rôle dans la création de l’œuvre, cela sera loin d’être toujours le cas. Les juges devront, dans les prochaines semaines, trancher « des questions difficiles », écrit la magistrate. En particulier pour les œuvres qui mixent machine et apport humain : à partir de quand, à partir de quel degré d’apport humain, ou de participation humaine, une œuvre générée par un système d’IA pourra-t-elle bénéficier du droit d’auteur ? Faudra-t-il un minimum de prompts – les commandes demandées par un homme à un outil d’IA générative ? Un travail préliminaire d’imagination à démontrer ? « Il ne fait aucun doute que nous nous approchons de nouvelles frontières en matière de droit d’auteur, car les artistes mettent l’IA dans leur boîte à outils pour générer de nouvelles œuvres visuelles et autres œuvres artistiques », reconnaît la juge.
Cette dernière rappelle néanmoins que la fonction du droit d’auteur est bien d’encourager la création (des humains) : le fait qu’un système d’IA en bénéficierait serait donc contraire à cette idée, le droit d’auteur n’ayant pas « été conçu pour s’appliquer aux acteurs non humains ».
Or, sans droit d’auteur, les œuvres pourraient être reproduites et dupliquées : de quoi plaider en faveur des scénaristes et les acteurs actuellement en grève à Hollywood depuis plus de 100 jours, inquiets de voir leur travail remplacé par des systèmes d’IA. Car si les œuvres de ces outils ne sont pas protégées, cela pourrait convaincre les studios de leur préférer des auteurs humains… le droit d’auteur étant à l’origine de leurs redevances et revenus.
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Une décision qui confirme les directives de l’USCO
Cette décision est-elle une surprise ? Pas vraiment, elle confirme les nouvelles directives du Bureau du droit d’auteur américain (l’US Copyright Office ou USCO) qui ont été publiées le 15 mars dernier. L’office y avait rappelé le principe de la protection du copyright : il faut un travail intellectuel et créatif humain.
Conséquence : l’entreprise propriétaire du système d’IA ne peut pas être considérée comme auteur ou co-auteur. Pour l’office américain, « les utilisateurs (de ChatGPT et de DALL-E) n’exercent pas un contrôle créatif ultime sur la manière dont ces systèmes interprètent les instructions et génèrent des images ou du texte ». « Au lieu de cela, ces demandes fonctionnent davantage comme des instructions données à un artiste », ajoute-t-il.
Pour les œuvres mixtes, composées à la fois d’éléments qui relèveraient de la créativité humaine, et d’autres générés par l’IA, l’USCO estime que le droit d’auteur s’appliquera uniquement à la partie créée par l’homme. Dans une demande de copyright, il faut d’ailleurs indiquer si un élément a été généré par l’IA, et expliquer les contributions de l’auteur (humain) à l’œuvre.
Cette question soulevée par l’émergence de l’IA dans le monde de la création est loin d’être la seule : les artistes demandent aussi à ce que les systèmes d’IA cessent d’utiliser leurs œuvres pour s’entraîner, estimant être victimes d’un pillage massif. Différents procès aux États-Unis et en Europe sont en cours. Pour l’instant, ils n’ont pas été tranchés.
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Source : Décision du 18 août 2023 du tribunal fédéral du district de Columbia (Civil Action No. 22-1564 (BAH)