Attentat contre notre boss
Depuis les attentats aux États-Unis, notre boss n’est plus le même. On dirait que c’est lui qui s’est jeté du 850e étage du World Trade, atterrissant brutalement dans une réalité hostile… Bref, Roland n’est plus Roland ! Le dynamique, l’optimiste, l’arrogant, rase maintenant les murs sans faire de mousse… Il s’améliore, ce qui nous traumatise tous au plus haut point. Avant de vous expliquer un peu plus cette inquiétante métamorphose, je tiens à faire une mise au point. Non, on ne doit pas plaisanter avec l’horreur, et non, je ne suis pas insensible au cauchemar que nous vivons tous depuis le 11 septembre et tout ce qui sang suit. Mais pour citer Oscar Wilde, je vous rappelle seulement que l’humour est la politesse du désespoir. Ok ? Je compte sur vous pour ne pas me mettre au ban des nations ? Je continue donc : Roland a littéralement explosé. C’était très spectaculaire. La télé était branchée dans notre salle de conférences, nous étions tous tétanisés, et les yeux de notre boss lui sortaient de la tête. Il a même poussé un petit gémissement à fendre l’âme en voyant s’écrouler les Twin Towers. La compassion n’est pourtant pas son fort. À se demander s’il pleurait la mort des occupants, ou celle des gratte-ciel… Que d’argent fichu en l’air, n’est-ce pas ? Ensuite, au moment où l’on revoyait pour la cinquantième fois l’impact des deux avions, Roland s’est précipité vers la fenêtre. Craignait-il qu’un Airbus s’invite à notre conférence au rez-de-chaussée d’un immeuble parisien ? Oui. “Il va falloir prendre des mesures“, a-t-il dit. Je crois sincèrement qu’à cet instant, il se prenait pour George W. Bush. “Réunion de crise demain matin à 8 heures“. Le lendemain, le staff du groupe s’est donc réuni à nouveau. Dans le rôle du secrétaire d’État à la Défense, Charlotte is Colin Powell. Notre nouvelle directrice adjointe, spécialiste du marketing psy et de l’i-baratin, a pris la parole : “Le Président pense que le groupe doit tirer les conséquences du drame que nous venons de vivre. Il pense que nous devons réagir avec fermeté, et frapper un grand coup“. Roland, impérial, perdu dans les altitudes de sa nouvelle pensée suprême, se taisait. C’était vraiment impressionnant. “Oui, frapper un grand coup“, répétait Charlotte Powell. Mais que voulait-elle dire ? Que nous, pauvres membres de la direction d’un groupe internet, nous devions jouer les kamikazes, bourrer nos costumes Kenzo d’explosifs made in Kaboul, et nous jeter sur le repaire de Ben Laden ? Nous l’avons cru. Nous nous faisions même à l’idée de ce sacrifice, car il ne faut jamais contrarier Roland. Eh bien non. Le boss s’est enfin expliqué : “Nous sommes au rez-de-chaussée, certes, mais à La Défense, qui est une cible évidente. La démesure et l’arrogance de nos gratte-ciel et de nos villes sont en train de subir une punition méritée. Notre propre arrogance aussi. Et la mienne : je vous ai trop souvent manqué de respect. Nous allons tout changer. On déménage en province. Et plus de coups bas. Le vie est trop courte“. J’en aurais pleuré. Ces salauds ont commis l’irréparable : ils nous ont changé notre Roland. Ils navaient pas le droit !
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