ITV Digital aurait dû devenir l’emblème du triomphe du numérique terrestre en Grande-Bretagne. C’est aujourd’hui une faillite retentissante doublée d’un véritable camouflet pour le gouvernement qui avait fixé à 2010 le passage au numérique. “Le modèle économique d’ITV Digital n’était tout simplement pas concevable”, commente Christopher Tant, analyste senior spécialisé dans les médias chez Datamonitor à Londres, pour qui le nouveau venu s’est heurté à la position dominante de B Sky B. Au même moment, l’endettement colossal des câblo-opérateurs Telewest et NTL confirme les difficultés rencontrées aujourd’hui par les acteurs britanniques de la télévision numérique à péage.À qui la faute ? Les facteurs conjoncturels apportent un élément d’explication : le marché publicitaire a brutalement baissé l’année dernière, en particulier après les attentats du 11 septembre. Pour ITV Digital, ce coup de froid s’est traduit par une baisse des revenus d’environ 15 %, à 2,7 milliards d’euros contre 3,2 milliards en 2000. Et chez le leader du marché, B Sky B, le ralentissement économique a entraîné une baisse des revenus de 12 % d’une année sur l’autre. Un véritable paradoxe. Le marché de la télévision numérique payante en Grande-Bretagne est en effet le plus mature en Europe, avec 40 % de taux de pénétration, soit 8,5 millions de foyers abonnés. Pourtant, de l’avis des spécialistes, il n’atteindra sa taille critique que dans 7 à 8 ans. 16 millions de foyers seront alors équipés.En attendant, les opérateurs subissent aujourd’hui un taux de désabonnement record : chez ITV Digital, il était de 23 % quelques semaines avant la fermeture des opérations payantes ; chez Telewest, il est de 19 %, tandis que chez NTL, il culmine à près de 18 %. Même B Sky B, avec 6 millions d’abonnés, n’échappe pas à cette tendance avec un taux de 10,4 %. Le bouquet de télévision par satellite de Rupert Murdoch dispose toutefois d’une vraie mainmise sur le marché du câble et de la télévision numérique terrestre grâce à son activité de production audiovisuelle. La seule vente de programmes à ITV Digital rapportait tous les ans à B Sky B entre 97 et 112 millions d’euros de recettes.“B Sky B présente le gros avantage de fournir un contenu de qualité pour un prix très élevé”, explique un analyste médias de Morgan Stanley, faisant allusion aux 64 euros par mois demandés par le bouquet satellite pour son offre standard. Mais, pour cet opérateur, les limites existent aussi : “B Sky B a aujourd’hui la taille qu’il ambitionnait d’avoir”, commente Christopher Tant. “En termes de potentiel du nombre d’abonnés, renchérit une analyste de Morgan Stanley, le câble a de plus fortes probabilités de croissance.”
Nécessaires alliances
Souvent cités en exemple, les câblo-opérateurs Telewest et NTL n’en sont pas moins aujourd’hui deux entreprises criblées de dettes en raison de leur politique d’acquisitions à outrance durant la bulle internet. Et selon la plupart des observateurs, seule une alliance entre ces deux acteurs pourrait de nouveau rétablir l’équilibre sur le marché de la télévision à péage. Quant à l’avenir du numérique terrestre outre-Manche, la chute d’ITV Digital a refroidi les esprits mais pas fermé la porte à d’éventuels futurs projets. “Le scénario le plus probable est celui d’une coalition des émetteurs terrestres pour assurer la diffusion des chaînes numériques gratuites”, note un observateur, pointant du doigt Greg Dyke, l’actuel directeur général de la BBC, comme possible leader de cette coalition. La solution semble prometteuse : selon une note de Morgan Stanley, le marché de la télévision multicanal présenterait un potentiel pour 12,5 millions de téléspectateurs en Grande-Bretagne. Or, selon ce rapport, une grande partie de cette population n’a pas encore adopté la télévision numérique parce que dans les esprits, elle reste synonyme de payant. Une télévision numérique gratuite saurait les faire changer d’avis. Encore faut-il que le marché publicitaire réponde présent pour financer les chaînes.
Bouées politiques
Reste la solution politique. Le temps presse pour le gouvernement de Tony Blair, qui a promis la généralisation de la télévision numérique entre 2006 et 2010 : à bout d’arguments, il vient de présenter un projet de loi ouvrant la voie à des prises de participation de groupes non-européens dans les chaînes destinées au numérique terrestre et à une fusion entre Carlton et Granada, les deux actionnaires malheureux d’ITV. Un exemple à méditer pour les pouvoirs publics français, qui ambitionnent de lancer la TNT en 2003, sans avoir véritablement réfléchi à léquilibre économique du projet.* à Londres
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