Les nouvelles formes de consommation de la musique sur internet sont bel et bien en train de bouleverser les systèmes de gestion et de répartition des droits qui faisaient autorité sur les supports physiques. De plus, l’universalité de la diffusion pose la question de la loi applicable. Les Américains, qui représentent 38 % du marché mondial de la musique, voudraient bien voir imposer leur modèle, au grand dam des instances européennes. “On n’est pas sûr que ce n’est pas la notion de copyright américain qui prédominera lorsque Duet [rebaptisé Pressplay] et Music Net entreront en phase opérationnelle” glisse, inquiet, un observateur proche des négociations. “Nous sommes dans un moment critique. Si la gestion collective des ?”uvres est un fait acquis dans un monde physique,l’avènement du net a poussé certains à chercher à minimiser le rôle des sociétés d’auteurs au profit de sociétés de systèmes de gestion de droits électroniques [DRM]“, explique Catherine Kerr-Vignale, directrice adjointe de la Sacem et gérante de Sesam, une fédération de sociétés de droits d’auteur. La technologie de DRM est née au début des années 1990 près de la Silicon Valley. Elle permet de contrôler l’utilisation, la duplication et la diffusion, redistribution incluse, de fichiers numériques.Le pionnier dans ce domaine est la société californienne Intertrust. Mais pour Catherine Kerr-Vignale, également directrice du département des droits phonographiques et vidéographiques à la Sacem, les sociétés développant des DRM ne peuvent se substituer aux sociétés d’auteurs puisqu’elles ne protègent pas l’auteur, ne permettent pas de lutter contre la piraterie ou d’entreprendre des campagnes de sensibilisation. “Sans auteurs et compositeurs, il n’y aurait pas d’?”uvres et donc pas de marché de la musique“, rappelle Catherine Kerr-Vignale. D’où la nécessité de protéger au mieux leurs intérêts en identifiant clairement le producteur. “Dans le monde physique, les rémunérations sont basées sur ce que paie le consommateur. Avec internet, c’est le fournisseur de contenu qui doit payer“, note Catherine Kerr-Vignale, que la nature de Pressplay et de Music Net laisse perplexe : “Sont-ils des fournisseurs de contenu ? Je ne crois pas. Ce sont des plateformes technologiques, pas des producteurs.” Des sites comme Vitaminic ou Peoplesound.com ?” le premier vient juste de racheter le second ?” entrent en revanche, par leur vocation de découvreurs d’artistes, dans la catégorie des éditeurs de contenu, des producteurs en d’autres termes. “ C’est avec eux que nous avons le plus avancé dans nos négociations.“
Panne d’interlocuteurs
Les sociétés d’auteurs sont aussi contraintes de renégocier leurs contrats avec les sites de musique opérant de la diffusion en continu, à la demande, par téléchargement ou par abonnement. La Sacem, société de gestion collective, demande ainsi “ à percevoir auprès des sites proposant du téléchargement, un pourcentage de 12 % sur l’ensemble de leurs recettes“, poursuit Catherine Kerr-Vignale. En pratique, la mise en place de ces accords est périlleuse car, dit-elle, “ les modèles économiques changent plus rapidement que les accords contractuels.” Dans le cas de Music Net et de Pressplay, “nous manquons cruellement d’interlocuteurs responsables et d’informations sur la teneur des projets. Aura-t- on, ou pas, l’opportunité de négocier avec eux ? “, s’inquiéte- t-elle. Il faut bien se rendre à l’évidence, en matière de gestion de droits numériques, la musique essuie les plâtres et les organismes chargés de la gestion des droits et des ayants droit en sont réduits à colmater les brèches en attendant une organisation juridique adaptée à la nouvelle donne du marché. D’autant qu’ils doivent composer avec l’émergence continuelle de nouvelles technologies subversives. Or, comme le souligne, Marc Guez, directeur adjoint de la SCPP, une société représentant les droits des producteurs, “la disparition de la piraterie est un préalable à un véritable décollage de la musique en ligne.“
Évacuer les pirates
“ Il faut qu’il y ait contrôle car le public n’achètera pas ce qu’il peut se procurer gratuitement. Il faudra trois ans pour assainir totalement le marché. Notre objectif est d’arriver à rendre la piraterie plus coûteuse que l’offre licite. Cela suppose des systèmes sécurisés, mais il faudra, en plus, que les offres commerciales soient attractives. ” Les initiatives pourtant semblent se multiplier. Deux organisations internationales, l’Ifpi et le Biem auraient ainsi engagé des discussions sur le droit de rémunération de la musique en ligne. Ces négociations tenteraient de définir un taux de base international qui accélérerait la mise en ligne des catalogues. En tout cas, au sein des labels, la tâche est ardue. Ainsi chez Virgin France, il y aurait plus de 600 contrats d’artistes à revoir. “C’est un travail titanesque, déplore Hervé Rony, directeur général du Snep, qui représente les maisons de disques françaises. Il faut obtenir les accords d’artistes dont les contrats ne prévoyaient pas de clauses internet, les reprendre un par un, les vérifier et en passer de nouveaux. En France, aujourd’hui, le chantier n’a pas avancé et nous ne savons pas où nous en sommes. ” Une preuve ? “Nous n’avons pas encore signé un seul accord avec les sociétés d’auteurs en France. ”
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