Il y a bien longtemps qu’on a compris qu’on arrêterait pas la mer avec les mains ». Pour le directeur-général d’e-TF1 Olivier Abecassis, il ne fait aucun doute que le débarquement de Netflix en France à la rentrée représente une grande menace pour tous les acteurs de l’audiovisuel. L’heure est grave et toutes les chaînes qui comptent sont venues défendre leurs intérêts au Sénat ce mercredi 25 juin, à l’occasion d’une table-ronde sur l’avenir de la télévision.
Une distorsion de concurrence inacceptable
Premier point qui fâche avec l’arrivée de Netflix, la fameuse distorsion de concurrence. En fournissant son service depuis les Pays-Bas, le service américain échappera à la fiscalité française et à l’obligation de contribuer au financement de la création. « Il y a trop de laissez-faire avec ces acteurs américains qui viennent sur notre territoire. Notre cause doit être défendue jusque devant la Commission européenne », s’étrangle Valéry Gerfau, directeur général de M6 web. Et tous de souhaiter que le décret SMAD, qui réglemente les services de vidéo à la demande, soit assoupli. Et même qu’il soit étendu à des sites comme Youtube qui diffuse du contenu vidéo en streaming.
Lutter à nouveau contre le piratage
Les professionnels du secteur sont unanimes : le piratage sévit en toute impunité en France, plus que dans toute autre pays selon eux, et grignote leurs parts de marché. Et ils reprochent vertement aux pouvoirs publics d’avoir abandonné la lutte contre cette pratique. Mais TF1 va beaucoup plus loin : pour la première chaine, les logiciels qui permettent de se passer de la publicité dans les vidéos qu’elle diffuse sur le web sont aussi une forme de piratage. « 25% des internautes qui visionnent les matchs de la coupe du monde utilisent ces logiciels. Comment voulez-vous que l’on trouve un modèle économique pour le gratuit sur Internet dans ces conditions ! », s’est emporté Olivier Abecassis.
La chronologie des médias indispensable pour financer le cinéma
Concernant une réforme éventuelle de la chronologie des médias, c’est là encore le consensus. Les groupes audiovisuels français font bloc pour conserver une réglementation des délais d’exploitation des films. Un système qui garantirait le financement du cinéma. « On verrait d’un mauvais œil sur Canal plus qu’on diffuse un film qui soit aussi visible simultanément sur une autre chaîne. Cela amoindrirait la valeur de cette œuvre pour nos abonnés », souligne le directeur de Canal-OTT Manuel Alduy. Canal n’aurait plus aucun intérêt à investir de l’argent dans des longs métrages s’il ne pouvait plus les diffuser en exclusivité. « De toute façon, il y a une confusion. La chronologie des médias n’impacte pas Netflix qui propose une offre de catalogue avec principalement des rediffusions et peu de nouveautés », souligne Valéry Gerfau. Alors, sur quoi repose la force de Netflix ?
Prix cassés, vieux catalogue et techno de pointe
« Netflix, c’est un peu le Free ou le Sosh de la SVoD », se sont écriés en cœur les représentants du PAF. Et de prendre pour exemple la stratégie menée par Netflix pour pénétrer le marché anglais. « Ils ont investi 200 millions de dollars dans ce pays qui ne seront jamais rentabilisés », détaille Olivier Abecassis. « Leur succès aux Etats-Unis leur permet d’avoir les moyens de se développer sur d’autres territoires et d’écraser la concurrence en cassant les prix. Une fois qu’ils sont devenus leaders, ils peuvent commencer à investir un peu dans les contenus », poursuit-il. Pas seulement, pour Christian Bombrun de chez Orange France. « La force de Netflix c’est aussi et sa techno avec des algorithmes hyper puissants de recommandation », tempère-t-il. « Et une simplicité d’expérience inédite », renchérit Philippe Deloeuvre, directeur de la stratégie de France Télévisions. Et de déplorer qu’aux Etats-Unis, Netflix emploie 900 ingénieurs consacrés à la recherche et au développement. Impossible de rivaliser pour les chaînes françaises.
Face aux offres de l’Américain, dont l’abonnement mensuel d’entrée de gamme se situe entre 8 et 10 euros, les concurrents français n’auraient plus le choix. Il leur faudrait s’aligner sur le même tarif. Comme Canal avec CanalPlay. « On était pas demandeur pour développer CanalPlay », avoue du bout des lèvres Manuel Alduy. « Et à ce prix-là, il devient impossible de proposer des contenus premium ». Des abonnements d’autant moins poussés en avant que les Français se montrés jusqu’à présent davantage friands de films payés à l’acte.
Avec Netflix, la France devra relever le défi de la pluralité des contenus
Alors, bien sûr, les chaînes de télévision françaises sont venues défendre leurs profits. Mais elles savent aussi qu’elles sont aujourd’hui les seules garantes de la diversité et de la complémentarité des contenus. « Je crois que si nous devions totaliser tout l’argent investi dans la création depuis dix ans autour de cette table, cela s’élèverait bien autour de 40 milliards d’euros », met en garde TF1. Si Netflix devrait écraser le marché français, qui pour prendre le relai ?
Et comment continuer à accéder à une offre plurielle ? Les Français ont à disposition une gamme très riche en matière de cinéma et d’audiovisuel, en télévision de rattrapage, en paiement à l’acte ou sur abonnement. Avec Netflix se profile le risque d’un scénario type Google ou Amazon. Une situation de monopole où les œuvres les plus difficiles auront plus de mal à être mises en avant au bénéfice des productions les plus populaires. « Avec Netflix, l’individu se retrouve seul face à un catalogie immense. Et c’est une machine qui lui adresse des recommandations pour faire ses choix. C’est toute la différence avec une chaîne de télévision comme la notre qui fait des choix éditoriaux », souligne avec justesse Agnès Lanoë, directrice de la prospective et de la stratégie d’Arte. Et si c’était ça, la meilleure arme des chaînes de télévision françaises ?
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