L’inventeur des premiers systèmes de workflow, au milieu des années quatre-vingt, est Martin Ader, fondateur de W&GS et représentant français du WfMC (Workflow Management Coalition). Il les définit comme les outils de “l’industrialisation du tertiaire”, mais reste réaliste quant à l’ampleur de la tâche à entreprendre. Car, pour industrialiser, il faut d’abord modéliser. Et c’est là toute la difficulté : “La modélisation des processus métier d’une entreprise doit se faire pas à pas, prévient Martin Adler. Chaque processus est un projet.” Derrière cette modélisation, c’est en effet tout un autre monde qui se dessine. Un monde où le travail humain serait déclenché, guidé, contrôlé, mesuré automatiquement… et donc efficace à moindre coût. Ce monde, qui existe depuis des décennies dans le secteur industriel, a du mal à s’implanter dans le vaste domaine des services. Objectif : y améliorer les processus afin d’en augmenter la rentabilité. “Il existe de formidables gisements de productivité dans le tertiaire”, approuve Claude Larrecq, responsable des formations au management projet chez Bull Formation.En théorie, la démarche est pourtant bien connue : chaque processus métier de l’entreprise est modélisé, décrit dans ses moindres détails, avec ses acteurs, ses documents, ses applications informatiques, ses temps d’exécution, ses coûts, etc. Leur dynamique est également prise en compte au travers des enchaînements qui donnent, en interne, une cohérence à toutes ces différentes opérations ?” de la chaîne partant de la commande client à celle de l’acceptation des congés d’un salarié. “Modéliser, c’est décrire la réalité”, résume Martin Ader. C’est la définition du BPM (Business Process Management ou gestion de processus métier), qui revient à décrire, mais aussi à suivre, l’évolution d’un processus de façon dynamique. “Le BPM consiste à détecter les meilleures pratiques de l’entreprise. Méthode de management de l’entreprise à travers ses chaînes de valeur, il permet de nouveaux gains”, précise François Tabourot, directeur général de Méga International.
Un fonctionnement amélioré de l’entreprise
Composante indispensable du BPM, le workflow automatise les étapes répétitives et les transmissions d’information des processus qu’il décrit. Plus question de se perdre dans les dédales et les recoins de l’organisation de l’entreprise. L’idée est de rendre les activités tertiaires le plus transparentes possible : “A terme, tous les process de l’entreprise seront sur le workflow”, prédit Gérard Jean, président du groupe Altime. Cette modélisation des processus en vue de leur automatisation ouvre aussi la voie à l’amélioration du fonctionnement de l’entreprise ?” à partir de données concrètes et tangibles, cette fois. Et c’est là tout l’intérêt de l’ensemble de la démarche : une fois automatisé, le processus est, en effet, exécuté par le moteur de workflow, qui fournit des indicateurs de performance. Temps, délais, volumes… Les points de blocage ou de dysfonctionnement sont rapidement repérés. “Ces outils deviennent de véritables plates-formes de supervision du fonctionnement de l’entreprise”, explique ainsi Patrick Mégard, d’Ilog.L’entreprise de service pilotée et surveillée comme une centrale nucléaire ? IDS Scheer, éditeur allemand de l’outil de modélisation Aris, commercialise aujourd’hui un gestionnaire de performance des processus. “Les indicateurs permettent de travailler sur le modèle cible. On installe dans le système, aux points névralgiques, des sondes XML qui permettent d’obtenir des informations sur chaque instanciation du process. Une fois le problème détecté, sa résolution coule de source”, explique Olivier de Colnet, responsable grands comptes et partenariats d’IDS Scheer. Outre ces indicateurs de performance et de suivi, les éditeurs fournissent aussi des outils de simulation qui permettent de répondre à une question du type : quel serait l’impact sur l’exécution du processus d’un décuplement du nombre de commandes clients en raison de l’ouverture d’un nouveau canal internet, par exemple ?Cette cartographie des processus existants peut permettre aussi, lors du lancement d’un nouveau produit, de détecter rapidement si les ressources nécessaires sont suffisantes et bien adaptées.
La maîtrise d’ouvrage s’incruste dans le tertiaire
Pour séduisante qu’elle soit, cette perspective n’a pas encore emporté l’adhésion massive des entreprises en France : “L’approche par les processus bouscule la culture des responsables français”, constate Olivier de Colnet. Et cela parce qu’elle modifie profondément les schémas classiques de management, à commencer par les rôles respectifs des DSI et des maîtrises d’ouvrage. Pour Henri Villiers, directeur général de l’éditeur Akazi, “le BPM réconcilie l’organisation et l’informatique”. En effet, explique Gérard Jean, “si l’on inclut la modélisation des process dans la maîtrise d’ouvrage, il n’y aura plus de conflit avec la DSI. La description du ” morceau ” de process automatisable constituera un cahier des charges permettant le recensement précis de toutes les fonctions dont on a besoin.”Du coup, “la maîtrise d’ouvrage se généralise dans le tertiaire”, souligne le responsable de Bull Formation. Stratégique et opérationnelle, elle devient un véritable instrument de pilotage de l’activité. Ainsi, au Crédit Lyonnais, en appui de la démarche BPM initialisée par la Banque de Transaction, pilotée par Olivier Mas, c’est une équipe permanente de douze personnes qui gère dynamiquement l’ensemble des processus. “Notre objectif était d’abord d’établir un vision globale du chaînage des processus de bout en bout et, bien entendu, de connaître et maîtriser les coûts. Nous avons ainsi aujourd’hui une vision industrielle de notre activité”, explique le directeur de la Banque de Transaction. Reste que cette équipe permanente, qui veille au grain, devient l’initiateur des projets informatiques. “Avant, c’était la direction informatique qui décidait des projets. Nous sommes passés d’une démarche majoritairement technologique à une démarche industrielle. C’est un profond changement de culture.” Un changement culturel également redouté par l’ensemble des salariés lors de l’introduction d’un nouveau workflow. “Nous militons pour un workflow civilisé, insiste Serge Levan, associé du cabinet Main Consultants. Ces applications sont fréquemment perçues comme des instruments de flicage. Mais justement, grâce au BPM, on peut faire participer très tôt les utilisateurs aux cycles de définition du modèle.”
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