” Nous donnons aux citoyens l’occasion de changer le monde. Nous accomplissons aujourd’hui quelque chose de sacré. Nous rendons simplement le vote aux citoyens. “ Celui qui s’exprime ainsi dans les colonnes du Wall Street Journal ce 8 mai 2000, n’est ni Albert Gore, ni George W. Bush, mais tout simplement Joe Mohen, le PDG de la société américaine Election.com.Après une première expérience ” d’élections officielles sur Internet “, lors des primaires du parti démocrate de l’Etat d’Arizona, au printemps dernier, cette start-up américaine s’est muée en apôtre universel de la nouvelle démocratie électronique.Aujourd’hui, le prosélytisme gagne l’Ancien Continent. Le phénomène attire l’attention des sphères dirigeantes. En France, la présidence de la république organise des réunions de travail sur l’e-démocratie.A l’occasion du récent référendum sur le quinquennat, une expérience pilote de vote sur Internet a été menée à Brest, toujours à l’initiative d’Election.com. Après avoir voté traditionnellement, les électeurs se sont vu proposer de voter sur Internet. Et 35 % d’entre eux se sont effectivement prêté au jeu. Chaque participant à l’opération recevait un code PIN (dix chiffres) et un mot de passe (six chiffres) générés aléatoirement par le logiciel d’Election.com.A Bruxelles, la Commission apporte son soutien et subventionne plusieurs projets d’origine européenne. Dernier programme retenu dans le cadre du quatrième appel d’offres IST (Information Society Technology), Cybervote, lancé le 1er septembre 2000.
Accroître la participation au scrutin
Les promoteurs du projet ?” un consortium piloté par EADS et Matra Systèmes & Information qui réunit les centres de recherche du finlandais Nokia et de l’opérateur l’anglais British Telecom ?” entendent démontrer ” la validité d’un système de vote en ligne à partir de terminaux Internet fixes et mobiles “. Des tests grandeur nature seront effectués en 2003 dans trois pays de l’Union, en France ( Issy-les-Moulineaux), en Allemagne (Brême) et en Suède (Kista).Cybervote devrait proposer un service multiplates-formes (PDA, mobile, et PC) agrémenté de solutions technologiques profondément différentes de celles qui prévalent aujourd’hui. Notamment pour ce qui est de garantir l’anonymat du suffrage exprimé.Sur un plan strictement économique, avec un coût estimé allant d’un euro par vote à cinq euros pour un vote certifié grâce à un procédé de signature électronique, le marché européen constitue un débouché important pour les industriels du vote en ligne. L’intérêt n’est donc pas prêt de retomber.A en croire ses zélateurs, le vote électronique serait un remède à la désaffection actuelle des citoyens pour le débat public. Il permettrait d’accroître de façon significative la participation au scrutin, en rendant notamment le vote accessible aux personnes handicapées, et à celles résidant à l’étranger. L’électeur pourrait ainsi voter ” directement à partir de chez lui ou de son bureau “, en toute confidentialité et en toute sécurité.Certains projets de vote en ligne mettent l’accent sur la création d’urnes électroniques. Ainsi du projet E-Poll, actuellement développé par France Télécom, en collaboration avec Siemens Informatique et le ministère de l’Intérieur italien. Le système, qui sera testé dès 2002 auprès de 8 000 électeurs français (Arcachon, Mérignac) et italiens, prévoit de faire appel à la biométrie, en utilisant une carte à puce équipée d’un lecteur d’empreintes digitales pour identifier le votant.En dehors des solutions venues d’outre-Atlantique, comme election.com, les deux projets Cybervote et E-Poll constituent la tête de file des initiatives européennes sur le sujet.
Vers un renouveau démocratique ?
Si l’argumentaire et le discours marketing savamment distillés séduisent de prime abord, ils achoppent tous les deux sur l’idée de ” renouveau démocratique “. L’acte de voter revêt en effet une dimension particulière. Le passage rituel dans l’isoloir rythme de manière symbolique la participation du citoyen à la vie de la cité. C’est une occasion pour chaque électeur d’exprimer son opinion à l’abri de toute pression, tout en se rappelant qu’il n’en a pas toujours été ainsi.Qu’en sera-t-il avec le vote électronique ? Si voter, ” depuis chez soi ou du bureau “, apparaît comme un progrès technique (avec garantie absolue de l’authenticité du votant et de la confidentialité sur le réseau), ces nouvelles moeurs électorales pourraient bien également ôter au suffrage son caractère quasi sacré.Ainsi, comment garantir que le votant ne subira pas de pressions directes dans son entourage physique immédiat ? Relativiser ainsi l’élection reviendrait à ravaler le vote au rang d’un simple sondage, où l’internaute, citoyen ou consommateur selon les cas, s’exprimerait en cliquant pour un candidat. Tout comme il pourrait mettre son veto à la commercialisation d’une nouvelle poudre à laver.Et comme si ces difficultés ne suffisaient pas, les législations des différents pays de l’Union européenne se montrent aussi rétives à l’arrivée du vote en ligne. En France, par exemple, la reconnaissance du vote par correspondance, étape indispensable avant de songer à un quelconque système de vote en réseau, n’est toujours pas à l’ordre du jour.Pour gagner en influence et sensibiliser les responsables de tous bords, les expériences pilotes dans la sphère privée (entreprises, associations, universités) se multiplient. Parmi ces réalisations, des initiatives originales comme celle du Planet Project. Cette consultation placée sous le patronage de l’ONU, et réalisée avec l’aide d’Akamai, de BEA Systems, d’Oracle et de Sun, prévoit d’interroger vingt millions de personnes dans une trentaine de pays de par le monde sur leurs habitudes de vie.Malgré tout, l’élection électronique n’en est encore qu’à ses balbutiements, et les cafouillages techniques constatés lors des récentes élections à l’Icann sont révélateurs à plus d’un titre.Cependant, développement d’Internet oblige, le vote en ligne et ses dérivés sont promis à un brillant avenir. Et il y a fort à parier que les barrières politiques, juridiques et culturelles s’effaceront rapidement, tant l’avènement de la démocratie électronique semble incontournable, pour garantir la pérennité des systèmes politiques actuels.
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