La vidéosurveillance est un des sujets épineux de notre temps. Côté face, les partisans mettent en lumière la sécurité renforcée et les preuves tangibles qu’elle peut apporter en cas de soucis (violences, accidents, etc.). Côté pile, le développement de méthodes de suivi et de reconnaissances de visages, le flou qui entoure le stockage et l’usage des données.
Autant de points qui donnent légitimement du grain à moudre à ses détracteurs, qui dénoncent le grignotage de la vie privée et prédisent une société totalitaire.
L’Edge computing selon Sony
Evidemment, l’edge computing est souvent présenté comme une troisième voie. Cette approche technique rompt le lien entre l’idée de surveillance et celle de la collecte de données, qui l’accompagne généralement. Non seulement moins de données sont collectées, mais elles sont traitées localement, et seules le résultat de leur traitement est envoyé pour analyse. La solution n’est pas parfaite – la technologie n’est jamais neutre – mais est clairement celle qui ménage le mieux les deux camps, pour l’instant.
Le ingénieurs de Sony ont bien compris l’intérêt de cette approche. Plus précisément des ingénieurs de sa division de développements de capteurs. Numéro un mondial du capteur CMOS, ultra champion des segments des appareils photo et des smartphones, Sony est aussi un grand pourvoyeur de capteurs à destination de l’industrie de la surveillance.
IMX500, le premier capteur intégrant un processeur IA
C’est dans ce marché et ce contexte que Sony a présenté l’an dernier un drôle de capteur appelé IMX500. Un capteur dont les dimensions et la définition classiques (1/2.3’’ pour 12 Mpix) cachent une première mondiale. Il s’agit du premier composant du genre à intégrer directement en son dos une puce de traitement d’image IA accompagnée de sa mémoire vive.
Une puce partiellement programmable, capable d’intégrer et d’exécuter ses propres algorithmes sans avoir à faire appel à un PC, des serveurs ou un cloud distant. Un capteur qui a déjà intéressé des grands noms de la tech, comme Microsoft.
Si de nombreux usages sont prévus pour ce capteur, son premier déploiement est une expérimentation de vidéosurveillance à Rome, en Italie. Deux caméras sont chargées d’analyser l’affluence automobile, de comptabiliser les piétons, ou encore de collecter des infos en temps réel sur les places de parking disponibles.
Au cœur du système, les algorithmes peuvent être programmés pour de nombreux autres usages – on pense par exemple à l’analyse comportementale de la société XXII, dont nous vous avons déjà parlé.
Performance technologique
Détaillons déjà la prouesse technique. Il s’agit de la première puce d’imagerie autonome.
« C’est grâce à notre savoir-faire dans le domaine des capteurs empilés (stacked CMOS sensor, ndr) que nous avons réussi à assembler et interconnecter trois couches de composants si différents – le capteur d’image, de la mémoire vive très rapide et une puce logique. », nous explique Antonio Avitabile, responsable européen du Fond d’investissement pour l’innovation de Sony en charge du projet.
Une prouesse qui offre déjà deux avantages.
« D’une part, le système est bien plus efficace énergétiquement. Le fait d’avoir une puce intégrée et optimisée abaisse considérablement la quantité d’énergie nécessaire au traitement des données. D’autre part, il génère beaucoup moins de données inutiles qu’il faut stocker, trier et gérer », continue-t-il.
Aucune image ne sort du capteur
« Au moment d’installer la caméra, notre capteur se comporte normalement et permet d’avoir un retour vidéo pour contrôler le champ de vision. Mais dès que le bon cadre est trouvé et la caméra prête à remplir sa mission, on peut tout à fait paramétrer le capteur pour qu’aucune image ne sorte du système », décrit Antonio Avitabile.
Le capteur voit évidemment une image normale, mais il ne transmet que des données traitées.
« Les algorithmes que la puce exécute n’envoient que des chiffres aux serveurs, comme le nombre de personnes, de véhicules, etc. Grâce à notre framework logiciel, les programmes et algorithmes des développeurs sont convertis pour la puce IA embarquée. Elle lit les informations du capteur et effectue tous les calculs localement. », continue Antonio Avitabile.
Si un hacker intercepte le flux d’information, il ne récupère que ces données traitées, pas une seule image JPEG.
Un cadre technico-légal à inventer
Si les qualités intrinsèques ont de quoi intéresser les décideurs technologiques, pour le grand public c’est évidemment le potentiel éthique de la solution qui attire.
Sony l’a bien compris et l’a mis en avant dans sa communication. Mais sans oublier de pointer les limites actuelles de sa solution. Interrogé sur la possibilité de créer un label qui permette de rassurer le public en lui indiquant qu’il est surveillé sans être espionné, Antonio Avitabile acquiesce, mais met aussitôt en garde.
« Oui, c’est une piste intéressante et nous discutons actuellement avec plusieurs gouvernements en ce sens. Mais beaucoup de questions se posent. Avant même de réfléchir à comment communiquer au public, il faut penser à la certification. Notre système est-il certifiable ? Si oui, comment et par qui ? Il n’existe à l’heure aucune autorité qui dispose des compétences et du pouvoir de le faire. Il s’agit d’un nouveau type de composants, de nouveaux usages, nous sommes en terrain inconnu et il va falloir tout créer dans ce domaine », explique-t-il avec pédagogie.
La création d’un cadre légal pourrait prendre du temps, puisqu’il a déjà fallu une année complète entre l’annonce de la disponibilité du capteur et cette première expérimentation à Rome de seulement deux caméras.
Mais face aux enjeux de la vidéosurveillance et aux oppositions qu’elle suscite, ce type de capteur pourrait s’imposer comme la solution qui met tout le monde d’accord : on installe des caméras pour le « camp » de la sécurité, mais qui n’envoient que de la télémétrie pour rassurer le « camp » de la vie privée.
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