La presse, avec son inconséquence habituelle, adore ressasser certains sujets éculés, qu’elle nous ressert chaque année à heure fixe, comme si nous étions frappés d’amnésie. Ainsi pour ” Les plus grandes fortunes de France “, ” Le blues des nouveaux cadres “, ” Le pouvoir des francs-maçons, fantasme ou réalité ? ” et, l’été menaçant, ” Maigrir avant la plage “.Directeur de la communication et, comme nombre de mes pairs, ancien journaliste moi-même, je connais le jargon de la presse. Elle habille ce bégaiement chronique de l’information d’un nom trompeusement champêtre : ” les marronniers “. Parce que ces sujets refleurissent chaque année à la même période. Autre exemple : ” Net économie, fin du rêve ou redémarrage ? “. Dans le groupe dirigé par Roland, notre boss charismatique, ce serait plutôt : ” Fin du rêve, ou début du cauchemar ? ” Cet homme croit tant à la remontée prochaine de tout ce qui est en baisse qu’au supermarché des start-up, il n’achète que les jeunes pousses sinistrées, avec une prédilection pour les télécoms, les web agencies, etc. Tout ce qui boit la tasse : voilà sa tasse de thé.Roland, si brillant pourtant, pédale allégrement dans la i-choucroute, maillot jaune incontesté du cocufiage internet. Conséquence : en attendant que ça remonte, ça nous fait plonger vers les sous-sols du Père Lachaise, dans un grand bruit d’osselets… Mon contrat de dircom stipulant que je dois aussi veiller à l’information des troupes (communication et intox internes), il faut que je fasse taire ce vilain bruit.Me voilà donc en train de plancher sur le nouveau numéro de notre magazine interne, dont le ” marronnier ” favori, bordant, comme il se doit, la route de l’Avenir Radieux, se développe sur trois niveaux : les racines ( ” On est les meilleurs “), le tronc (” On est une grande famille “), et les branches (toujours déclinées sur le thème ” On se mobilise tous pour notre nouvelle stratégie “).
L’engrais, c’est l’édito de Roland. Chaque fois, c’est l’horreur. Il écrit comme un pied bot. Et je dois le féliciter, sous peine de graves représailles, puis rewriter la totalité de ce torchon en faisant semblant de n’en corriger que les virgules…
Si je ne fais que ça, il m’engueule en m’expliquant qu’il ne m’a pas débauché de ces agences de com à la noix et de ces journaux de ” charlots ” pour que je taille mes crayons en regardant le plafond. Si je réécris trop son édito, il me demande d’une voix mielleuse : “Tu me prends pour un con, n’est-ce pas ? Ne te gêne pas, prends carrément ma place. Tu en rêves…” Après lui avoir répondu que j’en serais bien incapable, qu’il est le seul à pouvoir prétendre au poste de Grand Mamamouchi, j’essaie de le convaincre qu’en fait, toutes les modifications apportées à son texte, c’est lui qui me les a soufflées sans le savoir, lors de son dernier exposé au comité de direction… La ficelle est grosse, mais ça marche. Cette fois-ci, l’enjeu est de taille : expliquer à nos cadres affolés pourquoi notre dernière stratégie suicidaire ne l’est pas, dans quels ” marronniers ” vais-je pouvoir pomper ça ? Ceux de L’Humanité, de La Lettre du RPR, ou dun bon vieux Hara Kiri Hebdo ?
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