Les performances financières et technologiques de Samsung sont, chacune à leur manière, remarquables. Grâce à elles, le groupe coréen est parvenu à se bâtir une réputation de fiabilité et de qualité. Néanmoins, quelques nuages viennent assombrir le tableau. En premier lieu, la méthode de gestion du personnel. Si Samsung est rapidement sortie de la crise, elle le doit à ses pratiques expéditives et extrémistes : de 267 000 salariés fin 1997, l’entreprise n’en compte plus que 161 000 fin 1999. En un peu plus d’un an, 108 000 employés, soit 40 % de la totalité des employés, sont licenciés. Une mesure impensable dans le pays où le plein-emploi était historiquement la tradition. Une fois de plus, la main-d’?”uvre subit de plein fouet les conséquences des pratiques commerciales douteuses ou risquées de leurs employeurs. D’autant que la conjoncture ne leur vient pas en aide : d’un côté, les autorités politiques laissent faire devant la situation de crise générale, tout étant bon pour relever un tant soit peu les conglomérats ; de l’autre, l’absence de législation favorable aux travailleurs l’inexistence de syndicats au sein du groupe ne peut empêcher cette décision économiquement salvatrice mais humainement désastreuse. Historiquement, Samsung a toujours refusé la création d’unités syndicales dans ses murs. Ceux qui ont tenté de le faire en ont immédiatement subi les frais : soit ils se calmaient, soit ils étaient renvoyés sans plus de discussion. Sans représentation, sans action unie et coordonnée, les employés ont donc regardé leur sort se jouer.La grogne aurait sans doute cessé si le groupe avait mené une politique économique irréprochable. Mais, rapidement, le grand patron Lee Kun-Hee est mis en cause par la justice pour malversations financières. Le spectre de l’affaire Daewoo ?” son patriarche et fondateur Kim Woo-Choong est toujours en cavale ?” refait surface. Pas pour longtemps car “Chairman Lee” fait face, et décide de rester en place. Les mois passent et les inculpations se multiplient. En 1999, Lee Jae-Yong, le fils unique de “Chairman Lee”, reçoit 129 actions pour une valeur de 40 millions de wons (34 000 euros) dans le cadre du programme de compensation des salariés du groupe. L’affaire éclate un an plus tard. Premier hic : celui-ci ne travaillait pas encore chez Samsung en 1999. Second hic : la loi coréenne stipule qu’un actionnaire détenant plus de 1 %, ou de l’équivalent de 300 millions de wons (258 000 euros) d’actions d’une entreprise, ne peut être intégré à ces programmes. Or, les 0,77 % du capital de Samsung dont dispose Lee Jae-Yong sont évalués à quelque 430 milliards de wons. La colère monte : le fils prodige est encore poursuivi en justice pour fraude fiscale et obtention illégale de parts du groupe.
Indéboulonnable famille Lee
À 34 ans, le jeune coréen dispose donc d’un potentiel financier déjà bien assuré, mais son père n’entend pas en rester là. Il le destine à un plus grand avenir. En mars 2001, alors que celui-ci est tout juste diplômé d’université, Lee Jae-Yong est nommé vice-président du bureau de planification stratégique de Samsung Electronics. Les voix s’élèvent à nouveau : “Environ 11 600 employés de Samsung Electronics de niveau manager attendent depuis sept ans d’être choisis à ce poste, s’indigne le dirigeant du mouvement des actionnaires minoritaires. Comment le fils du patron, qui a étudié à l’étranger depuis son entrée dans le groupe, pourrait-il dépasser ces travailleurs et prendre leur place ?” Les employés refusent cette nomination qui symbolise le népotisme de la famille Lee. Ils critiquent également le fait que l’homme choisi ne semble détenir aucune des qualités requises pour de telles fonctions. Les désagréments ne s’arrêtent pas là : en septembre dernier, le fils a revendu à des filiales du groupe pour 40,2 milliards de wons des actions évaluées à 38,1 milliards, mais qu’il s’était appropriées pour seulement 7,62 milliards. Il aurait poussé plusieurs de ses collègues à faire comme lui, leur permettant d’effectuer une plus-value de 1,39 milliard de wons. Une opération plutôt mal venue pour celui qui devrait rapidement être nommé, en dépit de son manque d’expérience, à la deuxième ou troisième place du groupe.Cette question de la compétence a d’ailleurs été relancée à la fin décembre par un jugement d’une cour sud-coréenne. En premier lieu, la justice a exigé de “Chairman Lee” qu’il reverse 7,5 milliards de wons (utilisés de 1988 à 1992 pour corrompre l’ancien chef de l’État Roh Tae-Woo. Elle a ensuite ordonné aux directeurs de Samsung Electronics le remboursement de quelque 27,62 milliards de wons, et aux membres du bureau le reversement de 62,66 milliards de wons en raison d’une négligence qui, en 1997, avait entraîné une grosse perte pour le groupe et part conséquent pour ses actionnaires. Il y a cinq ans, le bureau a effectivement repris une entreprise en grande difficulté financière, pour revendre ses parts à perte dans les mois suivants lors de sa faillite. Principal motif de la cour de justice contre les directeurs de Samsung : leur décision “de reprendre une firme à la stabilité financière douteuse après seulement une heure de discussion “.
Un business familial
L’ouverture du groupe à des étrangers n’empêche donc toujours pas ses dirigeants de continuer à mener la barque comme bon leur semble. Ainsi que le rappelle l’association des actionnaires minoritaires, “ce groupe est une grande compagnie mais il est encore dirigé comme un commerce familial “. Tandis que la Corée du Sud poursuit plus ou moins lentement ses restructurations et que les conglomérats éclatent, Samsung demeure le plus large d’entre eux : le groupe détiendrait plus d’une cinquantaine de filiales contre moins d’une vingtaine attribuées à Hyundai, par exemple. Cette imbrication des entreprises les unes dans les autres explique l’ultime coup de sang de ses actionnaires : Samsung Electronics a perdu 436,3 milliards de wons lors de la chute de Samsung Motors, dont les dettes totales étaient évaluées à 2 450 milliards de wons. Une folie que les actionnaires font reposer sur les épaules de l’éternel Lee Kun-Hee et de ses “ambitions téméraires “.Un indice pourrait, cependant, laisser penser qu’un peu de ménage va s’opérer à l’intérieur du groupe sud-coréen. Récemment, 52 employés ont été punis, certains même par un licenciement pur et simple, pour avoir reçu, et accepté des cadeaux de la part de fournisseurs en échange de contrats et de faveurs. À moins que cette opération mains propres ne soit quun gigantesque coup publicitaire ?Réponse dans les prochains mois, notamment en fonction de la multiplication ou non des interpellations et, éventuellement, des condamnations au sein du groupe.
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